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Texte à méditer :  Deviens ce que tu es.
  
Pindare
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Hors des sentiers battus
La relativité des valeurs

  "Pour dire une fois brièvement ce qu'est en lui-même le bien et le mal, nous commencerons ainsi : certaines choses sont dans notre entendement et non dans la Nature : elles ne sont ainsi que notre oeuvre propre et ne servent qu'à concevoir distinctement les choses ; parmi elles nous comprenons toutes les relations qui ont trait à différentes choses et nous les appelons Êtres de Raison.

    La question se pose maintenant ; le bien et le mal appartiennent-ils aux Êtres de raison ou au Êtres réels ? Mais considérant que le bien et le mal ne sont autre chose que des relations, il est hors de doute qu'il faut les ranger parmi les Êtres de raison ; car jamais on ne dit qu'une chose est bonne sinon par rapport à quelque autre qui n'est pas si bonne ou ne nous est pas si utile qu'une autre ; ainsi on ne dit qu'un homme est mauvais que par rapport à un autre qui est meilleur ; ou encore qu'une pomme est mauvaise que par rapport à une autre qui est bonne ou meilleure.

    Et il serait impossible que tout cela pût être dit si le bon ou le meilleur n'existait pas, par comparaison avec lequel une chose est appelée mauvaise.

   Si donc l'on dit qu'une chose est bonne, cela ne signifie rien sinon qu'elle s'accorde avec l'idée générale que nous avons des choses de cette sorte. Or, comme nous l'avons déjà dit auparavant, les choses doivent s'accorder avec leur idée particulière […]

    Tous les objets qui sont dans la Nature sont ou des choses ou des effets. Or le bien et le mal ne sont ni des choses ni des effets. donc aussi le bien et le mal n'existent pas dans la Nature".

 

Spinoza, Court Traité, 1660, Première partie, G.F. pp. 83-84.


 

    "Bon et mauvais ne se disent que dans un sens relatif - Une chose considérée isolément n'est dite ni bonne ni mauvaise, mais seulement dans sa relation à une autre, à qui elle est utile ou nuisible pour l'acquisition de ce qu'elle aime. Et ainsi chaque chose peut être dite bonne et mauvaises à divers égards et dans le même temps. Ainsi le conseil d'Achitophel à Absalon est appelé bon dans les Saintes Ecritures ; il était cependant très mauvais relativement à David dont il préparait la perte. Bien d'autres choses sont dites bonnes qui ne sont pas bonnes pour tous ; ainsi le salut est bon pour les hommes, mais il n'est ni bon ni mauvais pour les animaux et les plantes avec qui il n'a aucune relation. Dieu à la vérité est dit souverainement bon parce qu'il est utile à tous ; il conserve en effet par son concours l'être de chacun, qui est pour chacun la chose la plus aimée. De chose mauvaise absolument il ne peut y en avoir aucune, ainsi qu'il est évident de soi".
 

 

Spinoza, Pensées métaphysiques, 1663, Première partie, trad. fr. Charles Appuhn, G.F. p. 353.

 

  "DOLMANCÉ — Ah ! n'en doutez pas, Eugénie, ces mots de vice et de vertu ne nous donnent que des idées purement locales. Il n'y a aucune action, quelque singulière que vous puissiez la supposer, qui soit vraiment criminelle ; aucune qui puisse réellement s'appeler vertueuse. Tout est en raison de nos mœurs et du climat que nous habitons ; ce qui est crime ici est souvent vertu quelque cent lieues plus bas, et les vertus d'un autre hémisphère pourraient bien réversiblement être des crimes pour nous. Il n'y a pas d'horreur qui n'ait été divinisée, pas une vertu qui n'ait été flétrie. De ces différences purement géographiques naît le peu de cas que nous devons faire de l'estime ou du mépris des hommes, sentiments ridicules et frivoles, au-dessus desquels nous devons nous mettre, au point même de préférer sans crainte leur mépris, pour peu que les actions qui nous le méritent soient de quelques volupté pour nous.
  EUGÉNIE — Mais il me semble pourtant qu'il doit y avoir des actions assez dangereuses, assez mauvaises en elles-mêmes, pour avoir été généralement considérées comme criminelles, et punies comme telles d'un bout de l'univers à l'autre ?

  MME DE SAINT-ANGE — Aucune, mon amour, aucune, pas même le viol ni l'inceste, pas même le meurtre ni le parricide.
  EUGÉNIE — Quoi ! ces horreurs ont pu s'excuser quelque part ?
  DOLMANCÉ — Elles y ont été honorées, couronnées, considérées comme d'excellentes actions, tandis qu'en d'autres lieux, l'humanité, la candeur, la bienfaisance, la chasteté, toutes nos vertus, enfin, étaient regardées comme des monstruosités."

 

Sade, La Philosophie dans le boudoir, 1795, Troisième dialogue, Jean-Javques Pauvert, 1967, p. 61-63.



    "Être une fin, c'est être l'objet d'une volonté. On ne peut être une fin que par rapport à une volonté, c'est d'elle dont on est la fin, c'est-à-dire d'après ce qui précède, le motif direct. C'est dans cette position relative que l'idée de fin a un sens ; tirez-la de là, elle perd sa signification. Or ce caractère relatif exclut nécessairement toute idée de « en soi ». « Fin en soi », autant vaut dire : « Ami en soi, - Ennemi en soi, - Oncle en soi, - Nord ou Est en soi, - Dessus ou dessous en soi », etc. Maintenant, pour aller au fond cette idée de « fin en soi » soulève la même objection que celle de « devoir absolu » ; une même pensée cachée, bien plus inconsciente, se trouve sous l'une et l'autre : c'est la pensée théologique. - La notion de « valeur absolue » ne vaut pas mieux : c'est à cette prétendue, à cette inconcevable « fin en soi » que cette valeur appartiendrait. Mais ici encore, pas de grâce : il faut que j'imprime sur cette idée la marque: contradictio in adjecto [contradiction dans les termes]. Toute valeur est une grandeur mesurable, et par suite sujette à un double rapport : elle est relative, en ce qu'elle s'applique à un objet ; et elle est comparative, en ce qu'elle résulte d'une comparaison entre cet objet et un autre. Hors de ces deux rapports, le terme de valeur n'a plus ni portée ni sens."

 

Schopenhauer, Le fondement de la morale, 1841, trad. Auguste Burdeau, Le Livre de poche, p. 97.

   

  "Les questions de « valeurs » (c'est-à-dire celles qui concernent ce qui est bon ou mauvais en soi, indépendamment des conséquences) sont en dehors du domaine de la science, comme les défenseurs de la religion l'affirment avec énergie. Je pense qu'ils ont raison sur ce point, mais j'en tire une conclusion supplémentaire, qu'eux ne tirent pas : à savoir que les questions de "valeurs" sont entièrement en dehors du domaine de la connaissance. Autrement dit, quand nous affirmons que telle ou telle chose a de la « valeur », nous exprimons nos émotions, et non un fait qui resterait vrai si nos sentiments personnels étaient différents.Pour mieux le comprendre, il nous faut analyser la notion de Bien.

  Il est évident, pour commencer, que toute l'idée du bien et du mal est en relation avec le désir. Au premier abord, tout ce que nous désirons tous est « bon », et ce que nous redoutons tous est « mauvais ». Si nos désirs à tous concordaient, on pourrait en rester là ; mais malheureusement nos désirs s'opposent mutuellement. Si je dis : « Ce que je veux est bon », mon voisin dira : « Non, ce que je veux, moi ». La morale est une tentative (infructueuse, à mon avis) pour échapper à cette subjectivité. Dans ma dispute avec mon voisin, j'essaierai naturellement de montrer que mes désirs ont quelque qualité qui les rend plus dignes de respect que les siens. Si je veux préserver un droit de passage, je ferai appel aux habitants des environs qui ne possèdent pas de terres ; mais lui, de son côté, fera appel aux propriétaires. Je dirai : « A quoi sert la beauté de la campagne si personne ne la voit ? » Il répliquera - « Que restera-t-il de cette beauté si l'on permet aux promeneurs de semer la dévastation ? » Chacun tente d'enrôler des alliés, en montrant que ses propres désirs sont en harmonie avec les leurs. Quand c'est visiblement impossible, comme dans le cas d'un cambrioleur, l'individu est condamné par l'opinion publique, et son statut moral est celui du pécheur.

  La morale est donc étroitement liée à la politique : elle est une tentative pour imposer à des individus les désirs collectifs d'un groupe ; ou, inversement, elle est une tentative faite par un individu pour que ses désirs deviennent ceux de son groupe. Ceci n'est possible, bien entendu, que si ses désirs ne sont pas trop visiblement contraires à l'intérêt général : le cambrioleur peut difficilement tenter de persuader les gens qu'il leur fait du bien, quoique des ploutocrates fassent des tentatives de ce genre, et réussissent même souvent. Quand l'objet de nos désirs peut bénéficier à tous, il ne paraît pas déraisonnable d'espérer que d'autres se joindront à nous ; ainsi, le philosophe qui fait grand cas de la Vérité, de la Bonté et de la Beauté est persuadé qu'il n'exprime pas seulement ses propres désirs, mais qu'il montre la voie du bonheur à toute l'humanité. Contrairement au cambrioleur, il peut croire que l'objet de ses désirs a une valeur impersonnelle.

La morale est une tentative pour donner une importance universelle, et non simplement personnelle, à certains de nos désirs."

 

Russell, Science et religion, 1935, Chapitre IX, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, p. 171-173.


 
    "Toute tentative pour persuader les gens que quelque chose est bon (ou mauvais) en soi, et non seulement par ses effets, repose sur l'art d'éveiller des sentiments, et non sur le recours aux preuves. […]
  Quand un homme dit : « Ceci est bon en soi », il paraît affirmer un fait, tout comme s'il disait : « Ceci est carré » ou « Ceci est sucré ». Je pense que c'est là une erreur. Je pense qu'il veut dire en réalité : « Je souhaite que tout le monde désire ceci », ou plutôt : « Puisse tout le monde désirer ceci ». Si l'on interprète ses paroles comme une affirmation, il s'agit seulement de l'affirmation de son désir personnel ; par contre, si on les interprète d'une façon plus générale, elles n'affirment rien, mais ne font qu'exprimer un désir. Le désir lui-même est personnel, mais son objet est universel. C'est, à mon avis, ce singulier enchevêtrement du particulier et de l'universel qui a causé une telle confusion en matière de morale.
  La question deviendra peut-être plus claire si nous opposons une sentence morale à une phrase qui affirme un fait. Si je dis : « Tous les Chinois sont bouddhistes », on peut me confondre en exhibant un Chinois chrétien ou musulman. Si je dis : « Je crois que tous les Chinois sont bouddhistes », on ne peut pas me confondre par des preuves venues de Chine, mais seulement par la preuve que je ne crois pas ce que je dis : car ce que j'affirme ne concerne que mon propre état d'esprit. Si maintenant un philosophe dit : « La beauté est un bien », je peux interpréter sa phrase comme signifiant : « Puisse tout le monde aimer ce qui est beau » (ce qui correspond à « Tous les Chinois sont bouddhistes »), ou « Je souhaite que tout le monde aime ce qui est beau » (ce qui correspond à « Je crois que tous les Chinois sont bouddhistes »). La première phrase n'affirme rien, mais exprime un souhait ; étant donné qu'elle n'affirme rien, il est logiquement impossible qu'il existe des preuves pour ou contre, ou qu'elle soit vraie ou fausse. La deuxième phrase, au lieu d'être simplement optative [1], affirme un fait, mais ce fait concerne l'état d'esprit du philosophe, et on ne peut réfuter cette affirmation qu'en démontrant qu'il n'éprouve pas le désir qu'il prétend éprouver. Cette deuxième phrase n'est pas du ressort de la morale, mais de la psychologie ou de la biographie. La première phrase, qui est bien du ressort de la morale, exprime le désir de quelque chose, mais n'affirme rien.
    Si l'analyse ci-dessus est correcte, la morale ne contient aucune affirmation, vraie ou fausse, mais se compose de désirs d'un certain genre, à savoir de ceux qui ont trait aux désirs de l'humanité en général - et des dieux, des anges et des démons, s'ils existent. La science peut examiner les causes des désirs, et les moyens de les réaliser, mais elle ne peut contenir aucune sentence morale proprement dite, parce qu'elle s'occupe de ce qui est vrai ou faux".

 

Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, p. 175-176.

[1] Optative : qui exprime ou sert à exprimer le souhait.



    "[...] Si deux personnes. sont en désaccord sur une question de valeur, ce désaccord ne porte sur aucune espèce de vérité, mais n'est qu'une différence de goûts. Si une personne. dit : « J'aime les huîtres » et une autre: « Moi, je ne les aime pas », nous reconnaissons qu'il n'y a, pas matière à discussion. [...] Tous les désaccords sur des questions de valeurs sont de cette sorte, bien que nous ne le pensions naturellement pas quand il s'agit de questions qui nous paraissent plus importantes que les huîtres. Le principal motif d'adopter ce point de vue est l'impossibilité complète de trouver des arguments prouvant que telle ou telle chose a une valeur intrinsèque. Si nous étions tous d'accord, nous pourrions dire que nous connaissons les valeurs par intuition. Nous ne pouvons pas démontrer à un daltonien que l'herbe est verte et non rouge. Mais il existe divers moyens de lui démontrer qu'il lui manque une faculté de discernement que la plupart des gens possèdent, tandis que, dans le cas des valeurs, il n'existe aucun moyen de ce genre, et les désaccords sont beaucoup plus fréquents que dans le cas des couleurs. Etant donné qu'on ne peut pas même imaginer un moyen de régler un différend sur une question de valeur, nous sommes forcés de conclure qu'il s'agit d'une affaire de goût, et non de vérité objective."
 

Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, p. 176-177.


    "Si je m'arrête à considérer ce que l'éthique devrait être réellement, à supposer qu'une telle science existe, le résultat me semble tout à fait évident. Il me semble évident que rien de ce que nous pourrions jamais penser ou dire ne pourrait être cette chose, l'éthique ; que nous ne pouvons pas écrire un livre scientifique qui traiterait d'un sujet intrinsèquement [1] sublime et d'un niveau supérieur à tous autres sujets. Je ne puis décrire mon sentiment à ce propos que par cette métaphore : si un homme pouvait écrire un livre sur l'éthique qui fût réellement un livre sur l'éthique, ce livre, comme une explosion, anéantirait tous les autres livres de ce monde. Nos mots, tels que nous les employons en science, sont des vaisseaux qui ne sont capables que de contenir et de transmettre signification et sens - signification et sens naturels. L'éthique, si elle existe, est surnaturelle, alors que nos mots ne peuvent exprimer que des faits ; comme une tasse à thé qui ne contiendra jamais d'eau que la valeur d'une tasse, quand bien même j'y verserais un litre d'eau. J'ai dit que dans la mesure où il s'agit de faits et de propositions, il y a seulement valeur relative, justesse, bien relatifs. Avant de poursuivre, permettez-moi de l'illustrer par un exemple assez parlant. La route correcte est celle qui conduit à un but que l'on a prédéterminé de façon arbitraire et il est tout à fait clair pour chacun de nous qu'il n'y a pas de sens à parler d'une route correcte en dehors d'un tel but prédéterminé. Voyons maintenant ce que nous pourrions entendre par l'expression : "la route absolument correcte". Je pense que ce serait la route que chacun devrait prendre, mû par une nécessité logique, dès qu'il la verrait, ou sinon il devrait avoir honte. Similairement, le bien absolu, si toutefois c'est là un état de choses susceptible de description, serait un état dont chacun, nécessairement, poursuivrait la réalisation, indépendamment de ses goûts et inclinations, ou dont on se sentirait coupable de ne pas poursuivre la réalisation. Et je tiens à dire qu'un tel état de choses est une chimère. Aucun état de choses n'a, en soi, ce que j'appellerais volontiers le pouvoir coercitif [2] d'un juge absolu".

Ludwig Wittgenstein, Conférence sur l'Éthique, 1929, Folio Essais, p. 146-148.

[1] Intrinsèque : qui est au-dedans de quelque chose et qui lui est propre.
[2] Coercitif : contraignant.

  

    "Si l'éthique justifie quelque chose, c'est seulement au sens qui vient d'être expliqué, c'est-à-dire seulement d'une manière hypothético-relative et non pas absolue. Elle ne « justifie » un jugement donné que pour autant qu'elle montre qu'il correspond à une certaine norme ; mais que cette norme elle-même soit « juste » ou justifiée, elle ne peut ni le montrer ni l'établir d'elle-même, mais se trouve devant la reconnaissance de cette norme comme devant un fait de la nature humaine. Même une science des normes ne peut rien faire d'autre, en tant que science, que connaître, elle ne peut jamais poser ou créer d'elle-même une norme (seule chose qui équivaudrait à une justification absolue), mais elle ne peut jamais que trouver, découvrir les règles selon lesquelles on juge, les relever et les tirer des faits présents. L'origine des normes se trouve toujours à l'extérieur de la science et de la connaissance qui les précède. Ce qui signifie que leur origine peut seulement être connue par la science, mais pas se trouver en elle. Autrement dit : pour autant que l'éthique répond à la question « Qu'est-ce qui est bien ? » en indiquant des normes, elle ne nous dit toujours que ce que signifie de fait « bien », mais ne peut jamais nous dire ce que bien signifie nécessairement ou doit signifier. Poser la question de droit à un jugement de valeur signifie seulement se demander sous quelle norme supérieure reconnue tombe cette valeur et c'est là une question de fait. Mais la question de la justification des normes ou des valeurs suprêmes n'a pas de sens puisqu'il n'existe rien au-dessus d'elles à quoi elles pourraient être ramenées. Puisque l'éthique moderne a souvent fait, comme nous l'avons déjà remarqué, de cette justification absolue le problème fondamental, il faut malheureusement dire que la manière dont elle commence par poser la question est tout simplement dénuée de sens (unsinnig)".

 

Moritz Schlick, Questions d'éthique, 1930, I, 8, Trad. C. Bonnet, Paris, P.U.F., 2000, p. 26-27.


 
    "Une valeur n'existe toujours qu'en relation à un sujet : elle est relative. S'il n'y avait ni plaisir ni déplaisir dans le monde, il n'existerait pas de valeurs ; tout serait indifférent.
    Il faut bien sûr faire attention au sens auquel la valeur est dite relative : son existence dépend de l'existence d'un sujet et de ce qu'il ressent ; mais cette subjectivité ne signifie pas l'arbitraire, elle ne veut pas dire que le sujet pourrait à sa guise attribuer ou refuser la valeur à l'objet. Tant que les maux de dents sont vraiment déplaisants, ils n'ont aucune valeur pour celui qui en souffre et il ne peut rien y changer - sinon il le ferait certainement. Étant donnés un objet déterminé dans un rapport déterminé à un sujet déterminé ainsi que la constitution et la disposition de ce sujet à l'instant présent, les sentiments par lesquels ce sujet réagira à l'objet sont eux aussi déterminés, c'est-à-dire que cet objet a pour ce sujet en cet instant une valeur (Wert) ou une non-valeur (Unwert) parfaitement univoque. C'est là un fait absolument objectif sur lequel ni le sujet ni l'observateur désintéressé ne peuvent ergoter, un fait aussi « objectif » que le serait l'existence d'une valeur « absolue ». La relativité des valeurs ne signifie donc pas une relativité pour ainsi dire métaphysique, comme si la valeur n'était désormais plus rien de tangible ni de déterminé. La chose me semble si évidente que je n'en parlerais pas, s'il n'y avait pas de malentendu sur ce point. Le plaisir ou le déplaisir que le sujet éprouve en évaluant est assurément quelque chose d'absolu, car s'il y a un cas où le mot « absolu » est autorisé c'est bien pour une telle donnée ultime de la conscience. Pour qu'un objet ait de la valeur pour un sujet, il faut un sujet et un objet d'une nature déterminée et une relation déterminée entre eux. Si toutes ces conditions sont réunies, alors l'objet a aussi nécessairement et univoquement une valeur déterminée pour le sujet".
 

Moritz Schlick, Questions d'éthique, 1930, VI, 1, Trad. C. Bonnet, Paris, P.U.F., 2000, p. 107-108.


 

    "Schlick dit qu'il y a dans l'éthique des théologiens deux conceptions de l'essence du Bien : dans l'interprétation superficielle, Le Bien est le bien parce que Dieu le veut ; dans l'interprétation profonde, Dieu veut le Bien parce que c'est le bien. Je pense que la première interprétation est la plus profonde ; est bien ce que Dieu ordonne. Car elle coupe court à toute explication du « pourquoi » c'est bien ; alors que la seconde qui est justement l'interprétation superficielle, rationaliste, qui fait « comme si » on pouvait rendre raison de ce qui est bien.
La première conception dit clairement que l'essence du Bien n'a rien à voir avec les faits, et donc qu'on ne peut l'expliquer au moyen d'aucun énoncé. S'il y a un énoncé qui exprime précisément ce que je pense, c'est l'énoncé : « Le Bien est ce que Dieu ordonne ».

 
Wittgenstein, Sur l'éthique de Schlick, Mercredi 17 décembre 1930, tiré de Ludwig Wittgenstein et le Cercle de Vienne, de Friedrich Waissmann, repris in Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, sous la direction d'Antonia Soulez, tr. fr. B. Cassin, A. Guitard, J. Sebestik, A.Soulez, Paris, PUF, 1985, p. 266.


    "Si je décris la réalité, alors je décris ce que je rencontre parmi les hommes. La sociologie doit décrire nos conduites et nos évaluations comme si c'était celles des nègres. Elle peut seulement relater ce qui arrive. Mais on ne devrait jamais trouver dans une description de sociologue l'énoncé : « Telle et telle chose signifie un progrès ».
   Ce que je peux décrire, C'est qu'il y a des préférences ; prenons votre cas ; j'ai découvert par expérience qu'entre deux tableaux, vous choisissiez toujours celui qui a le plus de vert, celui qui a une tonalité verte, etc. Je peux alors décrire seulement cela, mais non que ce tableau a plus de valeur.
   Qu'est-ce qui a de la valeur dans une sonate de Beethoven ? La suite de notes ? Non, c'est seulement une suite parmi d'autres. Vrai, je vais jusqu'à dire : même les sentiments de Beethoven lorsqu'il composait sa sonate n'avaient pas plus de valeur que n'importe quels autres sentiments. Le fait d'être préféré n'est pas non plus en soi quelque chose qui a de la valeur.
   La valeur est-elle un état d'esprit déterminé ? Ou une forme qui s'attache à toute donnée de conscience quelle qu'elle soit ? Je répondrais : quoiqu'on puisse me dire, je le rejetterais, et non parce que l'explication est fausse, mais parce que c'est une explication.
    Si l'on me disait n'importe quoi qui soit une théorie, je répondrais : Non, non, cela ne m'intéresse pas. Même si la théorie était vraie, elle ne m'intéresserait pas. Ce ne serait pas cela que je cherche.
    Ce qui est éthique (das Ethische) ne se peut enseigner. Si je pouvais expliquer à un autre d'abord au moyen d'une théorie l'essence de ce qui est éthique, alors ce qui est éthique n'aurait certainement aucune valeur. J'ai, dans ma conférence sur l'éthique, parlé pour finir à la première personne : je crois que c'est quelque chose de tout à fait essentiel. Il n'y a ici rien de plus à constater ; je peux seulement me mettre en avant en tant que personnalité et parler à la première personne.
    Pour moi, la théorie n'a aucune valeur. Une théorie ne me donne rien."

Wittgenstein, Valeur, Mercredi 17 décembre 1930, tiré de Ludwig Wittgenstein et le Cercle de Vienne, de Friedrich Waissmann, repris in Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, sous la direction d'Antonia Soulez, tr. fr. B. Cassin, A. Guitard, J. Sebestik, A.Soulez, Paris, PUF, 1985, p. 267-268.

 

  "Rien n'est absolument bon ou mauvais. Il y a seulement des différences. Le venin de cobra peut être mortel, mais il peut sauver la vie dans certaines conditions. C'est une erreur de classer les choses en bonne ou mauvaises. Elles sont simplement différentes. Ce qui est nourriture pour un homme, peut être un poison pour un autre. Quand votre maison brûle, vous êtes accablé de chagrin, mais votre ennemi savoure le spectacle, il chante et il danse. Voyez, le bien et le mal sont relatifs. Ce qui est bon et mauvais dépend de l'usage qu’on en fait. Un couteau est-il bon ? Oui, il est bon pour couper les légumes et pour d’autre usages. Si on s'en sert pour couper la gorge d'un autre homme, il est mauvais. De plus, les caractères bons ou mauvais sont des points  de vue. Ils ne font pas partie intégrante d'une chose. C'est nous qui les surimposons à ces choses. Nous buvons trop d'alcool et nous disons que l'alcool est mauvais. C’est faux. Nous mettons des lunettes vertes et nous disons que le monde est vert.

Rien n’est absolument bon ou mauvais dans ce monde. Tout est un mélange de bien et de mal. Si nous voulons avoir le bon, nous avons aussi le mauvais. C'est comme le côté face et le côté pile d'une pièce de monnaie, si vous prenez le côté face, le côté pile va avec. De même si nous cherchons le plaisir, la peine va avec".

 

Entretiens avec S. Prajnanpad publiés par R. Srinivasan, L'originel, p. 32-33.

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Date de création : 18/11/2005 @ 13:04
Dernière modification : 05/12/2014 @ 15:29
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