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Texte à méditer :  Il n'y a rien de plus favorable à la philosophie que le brouillard.  Alexis de Tocqueville
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Cours sur la religion

 
L'homme peut-il se passer de religion ?
 
 
Introduction
 
 Il apparaît difficile de réfléchir à ce qui constitue la culture humaine (c'est-à-dire tout ce qui est le produit de l'activité humaine ≠ nature), sans s'intéresser au phénomène religieux. La religion est en effet un fait humain universel. Comme l'écrit Bergson :
 
"On trouve dans le passé, on trouverait même aujourd'hui des sociétés qui n'ont ni science ni art ni philosophie. Mais il n'y a jamais eu de société sans religion"[1].
 
On peut même affirmer qu'au départ, la religion n'existe pas comme élément de la culture car tout est religieux. Culture et religion ne font donc qu'une.
 
Cependant, si la religion apparaît universelle,
 
 "La religion demeure une énigme, non seulement en un sens théorique mais également en un sens éthique. Elle est lourde d'antinomies théoriques et de contradictions éthiques. Elle nous promet une communion avec la nature et avec les hommes, avec les puissances surnaturelles et les dieux eux-mêmes, mais la réalité est tout à fait différente. Dans sa manifestation concrète, la religion est la source des plus profondes dissensions et de luttes fanatiques entre les hommes. Elle prétend être en possession d'une vérité absolue, mais son histoire est faite d'erreurs et d'hérésies. Elle est promesse et espérance d'un monde transcendant – bien au-delà des limites de l'expérience humaine –, mais elle reste humaine, trop humaine"[2].
 
 Mais qu'entend-on par "religion" ? Le mot "religion" a une histoire qu'il est important de rappeler. Le terme est en effet dérivé du latin religio (ce qui attache ou retient, lien moral, inquiétude de conscience, scrupule) utilisé par les romains, avant Jésus Christ, pour désigner le culte des démons.
→ la religio est historiquement une affaire romaine et impériale.
Mais l'origine du mot a été sujette à débat depuis l'antiquité. Cicéron (dont l'interprétation est reconnue aujourd'hui) le dit venir de "relegere" (relire, revoir avec soin, rassembler) dans le sens de "considérer soigneusement les choses qui concernent le culte des dieux". A l'inverse, Lucrèce, Lactance ou Tertullien voient son origine dans "religare" (relier) pour désigner "le lien de piété qui unit à Dieu".
Quoiqu'il en soit, le mot est repris par le christianisme, qui l'oppose à la superstitio. La religio désigne alors l'Église catholique romaine, tandis que les autres formes de croyances relèvent de la superstitio. Puis, à partir du XVIe siècle, avec la Réforme, la religion va s'adresser au christianisme dans son ensemble (catholiques et protestants). Enfin, au XIXe siècle, le mot "religion" finit par désigner toutes les formes de cultes, c'est-à-dire toutes les formes de manifestation sociale en rapport avec le sacré.
 
 La religion qualifie donc l'ensemble des croyances, dogmes et pratiques qui définissent les rapports de l'être humain avec le sacré ou la divinité, autrement dit, avec une forme de transcendance. On peut en effet, malgré la diversité des formes religieuses, dégager une constance, à savoir la croyance en une autre vie dans l'au-delà, à laquelle seuls auront accès les fidèles.
 
 Une religion particulière est définie par les éléments spécifiques à une communauté de croyants : dogmes, livres sacrés, rites, cultes, sacrements, prescriptions à partir d'une révélation s'appuyant sur l'histoire exemplaire d'un peuple, d'un prophète ou d'un sage qui a enseigné un idéal de vie.
 
 La religion peut être définie par ses trois grandes caractéristiques :
 
-         les croyances et les pratiques religieuses, lesquelles se réfèrent à une forme de transcendance
-         le sentiment religieux et la foi
-         l'union dans une même communauté de ceux qui partagent une même foi : l'Église. C'est un argument avancé pour différencier la religion de la magie.
 
Une religion, c'est une structure, une hiérarchie, une organisation, des dogmes, un credo, une morale, des rites, une liturgie, et en ce sens, elle se distingue de la simple foi, même s'il n'y aurait pas religion sans foi.
 
 
 
Repères : Transcendant / immanent
Le transcendant, c'est ce qui dépasse ou est supérieur à une réalité donnée. Autrement dit, une chose est transcendante quand elle relève d'un degré de réalité supérieur, d'un autre ordre. C'est ce qui est au-dessus du monde ou des frontières connues.
L’immanent (du latin in-manere, qui signifie demeurer en), à l'inverse, désigne ce qui est compris dans la nature d'un être, qui ne nécessite pas l'appel à un principe supérieur. C'est ce qui relève du même degré ou du même niveau de réalité.
 
Réfléchir au phénomène religieux, c'est avant tout se demander "Pourquoi la religion ?", c'est-à-dire s'interroger sur les causes de la religion (ses fondements), mais aussi sur sa finalité.
 
 
 
 
 
I.                   Le besoin religieux : pourquoi les hommes croient-ils ?
 
 
 
→ cf. texte de Freud, Malaise dans la civilisation, PUF, trad. Ch. et J. Odier, pp. 19-20 (Malaise dans la culture, pp. 17-18).
 
 
 
→ cf. texte de Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, IV, 61, trad. Geneviève Bianquis, coll. 10/18, pp. 107-108.
 
 

 
 
II.                Dieu existe t-il ?



 La première des croyances est la croyance en une forme de transcendance ; celle-ci a fini par prendre la figure d'un Dieu unique, possédant toutes les perfections. C'est pourquoi on a pu définir la religion comme un ensemble de doctrines et de pratiques en rapport avec la puissance divine.
 
 Il y a des religions sans dieu : ex. le bouddhisme, mais il est vrai que la majorité des religions font appel à une ou plusieurs divinités. Difficile donc de réfléchir au phénomène religieux sans faire référence à la figure divine, et sans se poser la première question s'y rapportant, à savoir celle de l'existence de Dieu.
 
 Habituellement, l'existence d'une chose découle d'un simple constat. Je sais qu'une chose existe si je peux faire le constat matériel de son existence, si je peux attester de sa réalité empirique. Le problème avec l'existence de Dieu, c'est que comme le rappelle l'apôtre Jean : "Personne n'a jamais vu Dieu"[3] (ou "Dieu, personne ne l'a jamais vu").
 Ainsi, Mahomet reçoit la parole divine non par Dieu lui-même, mais par l'intermédiaire de l'ange Gabriel, et si Dieu a parlé à Moïse directement, comme il est écrit dans l'Exode :
 
"Le Seigneur parlait avec Moïse, face à face, comme un homme parle avec un autre"
 
 
 
 
 celui-ci ne l'a cependant pas vu. Car comme l'avertit Dieu :
 
"Tu ne pourras pas me contempler en face, car aucun être humain ne peut me voir et rester en vie."
 
 
 
 
 L'existence de Dieu ne pouvant pas être constatée directement (aucune preuve empirique directe ne pouvant être fournie), de nombreuses tentatives ont dont été effectuées pour démontrer son existence soit de manière indirecte, soit de manière purement rationnelle.
 
 
 
1.      Les "preuves" de l'existence de Dieu
 
 D'une manière relativement tardive donc, et souvent dans un but apologétique, la métaphysique s'est efforcée de prouver l'existence de Dieu, ou plutôt son être, puisque Dieu ne saurait, à la manière d'un objet, être pris dans le déterminisme et le devenir (idées qui sont impliquées par le terme d' "existence"). Kant a résumé (et critiqué) les trois principaux arguments donnés en faveur de l'existence divine (le terme d' "argument" est en fait préférable au terme de "preuve" puisque selon Kant, ces soi-disant "preuves" ne prouvent justement rien)[6]. Les voici, avec leur dénomination kantienne :
 
  1. L'argument ontologique ou "cartésien" :
 
 Il déduit l'existence de Dieu de la simple définition de l'être parfait ; l'être parfait est celui qui possède toutes les perfections (il ne saurait rien lui manquer). Or, l'existence est une perfection, donc l'être parfait existe. Le concept de Dieu implique l'existence, comme le concept de triangle implique que la somme de ses angles soit égale à deux droits.
Il est à noter que cet argument est un argument a priori, c'est-à-dire qu'il ne fait pas appel à l'expérience sensible. Ici, on passe de l'idée de Dieu (son essence) à son existence, en ne faisant donc appel qu'à la raison.
 
→ cf. texte deAnselme de Canterbury, Proslogion, chapitres II – IV, tr. Koyré, éd. Bibl. des textes phil., p. 13-17.
→ cf. texte deDescartes, Méditations métaphysiques, 1641, "Cinquième Méditation", dans Œuvres de Descartes, éditions Ferdinand Alquié, Garnier t. II, p. 472.
 
  1. L'argument cosmologique :
 
 Il prend appui sur l'expérience ; les effets que nous montre l'expérience s'expliquent par leurs causes. Or, chacune de ces causes a elle-même besoin pour être expliquée, d'avoir sa propre cause. Cette régression de cause en cause n'est pas infinie, sinon le monde serait inexplicable. Si le monde est intelligible, il faut qu'on puisse remonter à une cause première, qui n'a pas elle-même de cause. C'est ce qu'on appelle Dieu. Autrement dit, si quelque chose existe, il doit exister un être absolument nécessaire. Or, j'existe, donc il existe un être absolument nécessaire, à savoir Dieu.
Comme le suivant, cet argument est a posteriori, c'est-à-dire qu'il se fonde sur l'expérience dans la mesure où seule cette dernière me permet de savoir que j'existe.
 
  1. L'argument physico-théologique, dit encore téléologique :
 
 Il prend appui sur une expérience déterminée, celle de l'ordre de l'harmonie régnant dans le monde. Dans la nature, nous trouvons un accord régulier dans l'ensemble des phénomènes, et dans les êtres vivants, une réciprocité harmonique des causes. Cet accord et cette réciprocité ne peuvent s'expliquer par la matière même dont les choses sont faites. Il faut donc admettre, en dehors des choses, une intelligence ordinatrice qui a librement imposé un ordre à l'aveugle nature.
 
2.      La réfutation des preuves de l'existence de Dieu
 
   Il est indubitable, (…) que le supplice des enfants a été, et devait ne pas être, et que Dieu pouvait faire qu’il ne soit pas. Comme Dieu ne s’est pas manifesté dans les circonstances où, moralement, il l’aurait dû, s’il existait, il serait coupable. La notion d’un Dieu coupable et méchant apparaissant contradictoire, il faut conclure que Dieu n’est pas. Marcel Conche, Orientation philosophique, chap. I, Paris, PUF, 1990.
 
 Kant va critiquer ces trois arguments en montrant que l'argument cosmologique implique la preuve ontologique, et que l'argument physico-théologique implique les deux précédents.
Kant oppose au premier argument que l'existence n'est pas un attribut logique que l'analyse peut tirer d'un concept. Il n'y aucune différence selon lui entre cent thalers imaginaires et cent thalers réels au point de vue des attributs qui définissent la notion de cent thalers. De même l'idée de Dieu existant n'est pas plus riche en attributs que l'idée de Dieu non existant. Seule l'expérience, qui fait ici défaut, peut déterminer si le possible est réel.
 
"Si je supprime le prédicat, dans un jugement identique, et que je garde le sujet, il en résulte une contradiction, et c'est pourquoi je dis que ce prédicat convient nécessairement au sujet. Mais si j'enlève le sujet en même temps que le prédicat, il n'y a plus de contradiction, car il ne reste plus rien que la contradiction puisse affecter. Poser un triangle en en supprimant ses trois angles est contradictoire ; mais faire disparaître à la fois le triangle et les trois angles, il n'y a plus là contradiction. Il en est exactement de même du concept d'un être absolument nécessaire. Si vous lui ôtez l'existence, vous supprimez la chose même avec tous ses prédicats ; d'où peut venir alors la contradiction ?[7]"
 
 Si Dieu n'existe pas, on ne peut pas dire qu'il est imparfait, sinon cela voudrait dire qu'il existe (il faut exister pour être imparfait). Or Dieu, tel qu'on nous le présente, est tout puissant, mais pas au point d'exister et ne pas exister en même temps.
 
 En fait, l'argument repose sur une ambiguïté du verbe "être". Le verbe "être" a en effet deux sens : un sens grammatical (copule) et un sens ontologique.
Ainsi selon Saint Augustin : "Si Dieu est Dieu, Dieu est". Or, pour Kant, il y a ici glissement du sens copulatif au sens ontologique. Il ne faut pas confondre un sens logique et un sens réel. Ainsi, lorsque je dis "Les lutins sont verts", le verbe être a une fonction copulative ; il ne fait que relier un attribut (ou un prédicat) = vert, à un sujet : lutins. Mais si je dis "Les lutins sont verts", cela ne signifie que les lutins sont. Ou on dit : "Dieu est existant", ou on ne fait qu'ajouter un prédicat au concept de Dieu. Il ne faut pas prendre l'existence comme une détermination du concept. Autrement dit, il ne faut pas confondre le concept et l'objet référentiel. L'existence n'est pas d'ordre conceptuel ; elle est la position dans l'être.
Pour Hegel cependant, Dieu n'est pas un concept comme un autre. C'est le seul cas pour lequel l'essence implique (enveloppe) l'existence. Dieu est en effet pour lui un être nécessaire (qui ne peut pas ne pas être).
 
 L'argument cosmologique abuse quant à lui du principe de causalité, en posant une cause qui n'admet pas elle-même de cause. En effet, le principe de causalité n'est pas respecté puisqu'il y a une cause, la cause première qui ne respecte pas ce principe. Si l'interlocuteur précise que cette cause est la cause d'elle-même, c'est-à-dire qu'elle se crée elle-même, on sort des limites de la raison. L'argument ne peut alors être utilisé comme une preuve rationnelle.
 
 Enfin, l'argument téléologique conduit seulement à concevoir Dieu comme l'architecte du monde, et non comme son créateur ; sinon il rejoint l'argument cosmologique.
 
En conclusion, Kant nous dit que le concept de Dieu est soit un concept ordinaire, soit c'est un concept exceptionnel. S'il est ordinaire, la règle de la logique nous dit que du possible au réel la conséquence n'est pas bonne (ce n'est pas parce qu'une chose est possible, c'est-à-dire qu'elle peut être, qu'elle existe, c'est-à-dire qu'elle est). Si au contraire, il s'agit d'une idée exceptionnelle, alors elle nous dépasse, et nous ne pouvons rien en dire.
 
 Impossible donc de prouver l'existence de Dieu. L'existence d'une chose ne saurait en effet se démontrer, mais seulement se constater, comme l'écrit Sartre dans La Nausée :
 
"Par définition l'existence n'est pas la nécessité. Exister, c'est être là, simplement. Les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire".
 
Ne répétant en cela que ce qu'écrivait déjà Hume :
 
"On peut donc seulement prouver l'existence d'un être par des arguments tirés de sa cause ou de son effet ; et ces arguments se fondent entièrement sur l'expérience"[8].
 
Cependant, impossible également de prouver son inexistence. Autrement dit, celui qui nie l'existence de Dieu doit le faire lui aussi sans preuve. Mais cela est légitime, car comme le dit Euclide :
 
"Ce qui est affirmé sans preuve, peut être nié sans preuve".
 
L'existence de Dieu est donc affaire de croyance et non de savoir. En d'autres termes, elle est affaire de foi et non de raison. Ne faut-il pas dès lors s'interroger sur les rapports qu'entretiennent ces deux termes ?
 
 
 
Et le diable dans tout ça ?
 
 Comme le dit Ivan dans les Frères Karamazov :
 
"Je pense que si le diable n'existe pas, s'il a été créé par l'homme, celui-ci l'a fait à son image".
 
 
 
III.             Foi et raison
 
 L'histoire de la relation entre foi et raison est loin d'être un long fleuve tranquille. Pour ne citer qu'un seul exemple, le philosophe dominicain Giordano Bruno connaîtra le bûcher en février 1600 pour avoir voulu proclamer que l'homme peut aller à Dieu par sa seule raison, sans la médiation du Christ (par l'esprit et non par la foi). Sa revendication tragique du droit à la liberté d'esprit pour le philosophe l'a amené à des thèses si incompatibles avec la foi chrétienne que l'inquisition le brûlera au terme d'un long procès.
 
 Toutes les grandes religions ont pourtant essayé de concilier les exigences de la foi et celles de la raison.
 
L'Islam se fonde par exemple sur la Sourate intitulée "La famille d'Amram" (Verset 190), pour affirmer l'accord entre raison et foi :
 
"Il y a certes dans la création des cieux et de la terre, dans la succession des nuits et des jours des signes pour ceux qui sont doués d’intelligence."
 
Et Jean-Paul II écrit dans son Encyclique Fides et ratio (Foi et raison) le 14 septembre 1998 :
 
"La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité."
 
Cependant, la conciliation entre foi et raison est chose difficile, c'est pourquoi trois attitudes se sont dessinées au cours des siècles :
-         celle selon laquelle la foi est supérieure à la raison
-         celle selon laquelle la raison est supérieure à la foi
-         celle selon laquelle foi et raison peuvent cohabiter à égalité car leur domaine d'intervention n'est pas le même.
 
Mais qu'entend-on par "foi" ?
 
 
 
Kant distingue l'opinion, la foi et la science.
 
 
 
Opinion
 
 
Foi
 
 
Science
C'est une croyance que je possède, mais pour laquelle je ne possède aucune certitude, ni objective, ni subjective.
C'est une croyance que je possède, pour laquelle j'ai une certitude subjective, mais pas objective.
C'est une croyance que je possède, pour laquelle j'ai à la fois une certitude subjective et objective.
 
Comme le dit Alain, la foi consiste à "croire sans preuve, et même contre les preuves". Ou comme l'écrit Kierkegaard :
 
"La foi n'a pas besoin de la preuve, elle doit même la regarder comme son ennemie"[9].
 
C'est bien en effet le sens des paroles du Christ :
 
"Parce que tu m'as vu, tu as cru : bien heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru". (Évangile selon Jean, XX, 29)
 
Il s'agit de la réponse de Jésus à Thomas, l'apôtre sceptique. Celui-ci a demandé à enfoncer ses doigts dans les plaies du Christ avant de croire au Miracle de le Résurrection[10].
Marie a vu le tombeau vide. Avec les autres disciples elle a vu le Christ ressuscité, il leur a montré ses plaies… Ils ont tous raconté à Thomas ce qu'ils venaient de voir. Mais Thomas ne croit pas leur récit : il veut voir par lui-même. La parole peut être creuse, la réalité est pleine : pas de vérité qui ne soit un accord observable entre ce qui est dit et ce qui est.
En fait nous sommes ici dans cette catégorie de vérité qu’on appelle "vérité de témoignage" : tous les jours nous croyons ce que nous lisons dans les journaux alors que nous ne pouvons pas vérifier l'exactitude de ces informations. Simplement nous ne croyons pas n'importe quelle source ; nous avons choisi un journal pour la fiabilité et le sérieux de ses reporters. Donc : Thomas ne croit pas les autres apôtres. Seulement il doit croire le Fils de Dieu lorsqu'il dit "Je suis ressuscité" ; comme on dit, c'est "parole d’Evangile". La source est ici garantie absolue d'absolue vérité. Telle est l'origine de la Foi.
On le voit, la parole de Dieu est vérité. Ceux qui possèdent la foi rencontrent Dieu dans la certitude qu'ils éprouvent de l'évidence que ces vérités émanent de Lui. Pour la Foi, pas de preuves : la vérité fait partie d'une expérience mystique.
 
  1. La foi au-dessus de la raison
 
 Dans les textes religieux, l'accent est constamment mis sur la valeur de la foi. L'homme réellement méritant est celui qui possède la foi, une foi par ailleurs invincible. On en voit l'exemple avec le sacrifice d'Abraham.
 
La Bible, Ancien Testament, Genèse, chap. 22.
 
 C'est aussi ce que montre bien l'exemple biblique de Job. Job est à la fois un homme irréprochable et comblé par la vie ; sa fidélité à Dieu (autrement dit sa foi) semble inébranlable. Dieu lui-même le décrit en ces termes :
 
"Il n'a pas son pareil sur terre. C'est un homme irréprochable et droit ; il m'est fidèle et se tient à l'écart du mal"[11].
 
Le diable se demande néanmoins si cette fidélité n'est pas intéressée (Job aimerait Dieu parce que ce dernier l'a favorisé). Pour tester la foi de Job, Dieu autorise donc de diable à "disposer de tout ce qu'il possède". Job perd ainsi tous ses biens et ses enfants. Mais il reste fidèle à Dieu :
 
"J'étais nu quand je suis venu au monde. C'est nu aussi que je le quitterai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Je n'ai qu'à remercier le Seigneur"[12].
 
Le diable refuse malgré tout de croire en la foi de Job : "tout ce qu'un homme possède, il le donnera pour sauver sa peau". Dieu autorise donc le diable à disposer de Job, mais sans porter atteinte à sa vie. Celui-ci frappe alors Job "d'une méchante maladie de peau, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet du crâne". Mais Job ne renie toujours pas Dieu :
 
"Si nous acceptons de Dieu le bonheur, pourquoi refuserions-nous de lui le malheur ?"
 
 
 
 
Pour récompenser la fidélité de Job, Dieu finit par lui rendre le double de ce qu'il avait perdu. On voit donc bien que ce que Dieu récompense c'est la foi.
 
 L'homme réellement religieux, c'est donc l'homme qui possède la foi. Mais comme l'explique Kierkegaard, la Foi est une sorte de saut dans l'irrationnel :
 
"Credo quia absurdum" ("Je crois parce que c'est absurde")[14].
 
→ Cf. texte de Kierkegaard, Post-scriptum aux Miettes philosophiques, pp. 414-415.
 
De même, Pascal ne voyait d'entrée en religion que par une humiliation de la raison : "C'est le cœur qui sent Dieu et non la raison" écrit-il dans ses Pensées. Il est impossible d'établir la vérité de la religion. D'où la nécessité d'un acte de croyance, conçu comme un acte de confiance (avoir foi).
 
→ Cf. texte de Pascal, Pensées, n° 282 Brunschvicg, Lafuma 110.
 
Karl Jaspers dit à peu près la même chose lorsqu'il écrit :
 
"Un Dieu prouvé ne serait pas Dieu, il ne serait qu'une chose dans le monde".
 
Ainsi, dans son encyclique Fide et ratio, Jean-Paul II rappelle qu'il ne saurait y avoir de compétition entre la foi, qui affine le regard intérieur dans un respect de la transcendance divine, et la raison, qui elle permet de rentrer dans la connaissance. Mais il n'en reste pas moins que la raison s'arrête devant le mystère de la foi et qu'elle doit vivre une certaine obéissance par rapport à ce mystère. On le voit bien, l'essence de religion réside dans le mystère, mystère que ne peut atteindre la raison. La foi serait donc supérieure à la raison, dans la mesure où seule la foi peut fonder la religion, et non la raison.
 
 La foi implique ici l'adhésion à un credo, à ce que l'homme nomme les vérités de la foi, adhésion qui relève d'un acte de croyance nécessaire au salut de l'homme. Il est admis que l'homme religieux est celui qui a la foi, tandis que le païen n'a pas la foi.
 
 
Remarque sur la distinction entre le fidèle et l'impie
 
 Toutes les religions opèrent la distinction entre les croyants et les incroyants, entre les fidèles et les infidèles. Mais l'ambiguïté règne très souvent.
Ainsi dans le Coran, on voit apparaître la distinction entre les croyants, c'est-à-dire les "peuples du livre" : juifs, chrétiens, musulmans, lesquels seront sauvés et les mécréants qui seront châtiés. Mais il est aussi dit que : "Quiconque cherche une autre religion que l'Islam ne sera pas accepté." III, 85.
 
Vocabulaire religieux
 
Hérétique : qui est entaché d'hérésie, qui professe ou soutient une hérésie, c'est-à-dire une doctrine contraire à la foi, condamnée par l'Eglise catholique (qui s'oppose donc directement à la vérité proposée par l'Église catholique comme révélée par Dieu). Par extension, toute doctrine aberrante au sein d'une religion quelconque.
Mécréant : celui qui ne croit pas = infidèle, impie, incroyant, incrédule
Infidèle : celui qui n'a pas la foi
Impie : celui qui n'a pas de religion (qui n'a pas la piété)
Profane (du latin profanus, m. s., de pro, devant, et fanum, temple) : celui qui n'était pas initié aux mystères, et qui, par conséquent, ne pouvait entrer dans l'enceinte sacrée ; celui qui est étranger aux choses de la religion ; par extension, ce qui est contraire à la religion établie ≠ sacré
Païen (du latin paganus = paysan, parce que le christianisme fut plus long à triompher dans les villages, pagi) : idolâtre, adorateur des faux dieux.
Athée : celui qui croit en l'inexistence de Dieu.
Agnostique : celui qui doute de l'existence de Dieu, qui ne sait pas, ne se prononce pas sur son existence ou sa non-existence.
 
Quel est donc le discours de l'homme de foi pour justifier l'idée de "vérités de la foi" ?
 
 L'homme religieux est celui qui effectue le saut de la croyance, qui est, comme l'explique Pascal, une sorte de "pari sur Dieu", pari où nous aurions tout à gagner, la vie éternelle, et peu à perdre, notre misérable existence limitée.
 Les vérités de la foi ne sont pas les vérités de la raison. Les vérités de la raison sont celles que tout esprit peut reconnaître par la seule lumière naturelle de la raison. L'évidence en mathématique qui me permet de reconnaître que 2 + 3 = 5 ne demande rien d’autre, qu'une intelligence claire et distincte. Par définition l'évidence est sa propre marque et n'est suspendue à aucune attitude de croyance. Par extension, le savoir est compris comme l’ordre des connaissances rationnelles, c’est-à-dire redevables seulement de la raison. Il est donc présupposé que les vérités de la foi ne comportent pas d'évidence, voire sont incompréhensibles au regard de la raison. La Passion du Christ, la virginité de Marie, les miracles, constituent un défi que la raison ne peut relever et il est dès lors possible de penser que devant la foi, la raison ne peut que s'incliner. Saint Thomas a ainsi pu dire en ce sens que la philosophie doit être la "servante" de la religion.
 
Repères : croire / savoir
Croire c'est tenir pour vraie une affirmation quelconque. Cet assentiment est susceptible de divers degrés d'assurance, depuis la croyance vague jusqu'à la certitude absolue. Moins l'évidence rationnelle est claire, plus la volonté doit venir en appui de l'intellect pour donner l'assentiment qui constitue la croyance.
Le savoir est donc un type particulier de croyance : celle qui se fonde sur une évidence claire et distincte (ou une démonstration infaillible) et ne peut faire l'objet d'aucun doute.
 
    L'accent mis sur la foi dans un credo, en particulier dans les religions monothéistes, fait que celles-ci se trouvent placées devant la difficulté  de convaincre rationnellement de leur validité, au regard du profane. La foi n'est pas affaire de conviction rationnelle, mais d'une persuasion intime qui est l'acte décisif de la croyance.
 
Repères : persuader / convaincre
Persuader (du latin persuadere : faire croire), c'est amener quelqu'un à tenir pour vraie une proposition quelconque, sans se soucier de savoir si elle comprend ce qu'elle croit. La persuasion agit par tous les moyens possibles : l'émotion, l'intimidation, l'éblouissement ; elle peut faire usage de sophismes ou de mensonges s'il en est besoin.
Convaincre (du latin convincere : vaincre, démontrer), c'est argumenter pour amener quelqu'un à partager les raisons qui nous font tenir pour vraie une proposition. Le but de celui qui cherche à convaincre n'est pas seulement l'adhésion de la personne, mais l'adhésion éclairée.
Ex. : tandis que les sophistes faisaient profession de persuader n'importe qui d'à peu près n'importe quoi, Socrate cherchait à convaincre ses interlocuteurs, autrement dit à leur faire comprendre par eux-mêmes les vérités que lui-même connaissait.
 
Cela explique d'une certaine manière la violence du prosélytisme, cherchant à faire plier une volonté devant la foi. L'inquisition imposait la devise : "Crois ou meurs !".
 On exigeait du mécréant (celui qui ne croit pas) qu'il fasse le saut de la croyance, saut que la raison ne peut justifier, et que le dialogue ne pourrait pas assurer. On ne peut que le persuader de le faire pour le Salut de son âme. Si le fidèle accomplit sa « profession de foi » en répétant les articles de la foi, il fait ce saut qui fait de lui un homme religieux. La différence païen/chrétien, infidèle/fidèle, incroyant/croyant tient essentiellement à ce saut périlleux de la foi. Cela ne se discute pas : on croit ou on ne croit pas. Les vérités de la foi impliquent une confiance absolue placée en Dieu, et une confiance renouvelée dans son médiateur sur terre qu'est le Sauveur et son Eglise. Ce que l’Eglise enseigne et conserve, ce sont donc des dogmes qu’il s’agit de reconnaître et non de justifier.
   Les Evangiles vont dans ce sens quand ils s'adressent aux hommes :
 
"Heureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient."
 
 
 
Cela sous entend que parmi les hommes, les « esprits forts » ne pourront pas connaître Dieu. Les « esprit forts » doivent renoncer à l’orgueil de la raison. Humilier la superbe de la raison est un préalable. La raison doit plier les genoux devant le Créateur, car dans cette humiliation elle trouvera l’humilité qui est la qualité première du fidèle de l’Eglise.
 La conversion religieuse est donc un acte qui ne repose pas sur une décision de la raison, c'est une adhésion émotionnelle, l'acte de foi dans le Sauveur (Jésus, Mahomet), et sa Doctrine (L’évangile,  le Coran). Le converti rompt avec le païen qu'il a été, avec le désordre moral du "vieil homme" et trouve la joie de se sentir membre d’une communauté de fidèles, de ceux qui sont auprès de Dieu, il se sent un "homme nouveau", un homme régénéré par la foi. La conversion le délivre des interrogations les plus difficiles, comme par exemple celle sur l'origine de l'existence, car la Doctrine est là pour indiquer les réponses de Dieu aux hommes. Il peut même, comme on le voit chez Pascal tournant en dérision le projet de Montaigne, être délivré de la nécessité de chercher à se connaître : ce serait une forme de concupiscence. Il se délivre de la solitude de la condition humaine en entrant dans la communauté de son Eglise. Il est délivré de l’incertitude qui accompagne la raison, car la révélation répond à ses interrogations. Il est délivré des incertitudes morales, car il a moyen de déterminer ce qui est Bien et ce qui est Malen suivant les interdits et les préceptes de la religion. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il s’installe dans une position confortable, puisque aucune assurance absolue ne peut-être donnée à son intelligence : elle passe la raison. La force qu’il tire des vérités de la foi est celle de sa seule croyance. La foi enveloppe la nécessité de réitérer le saut dans l'inconnu, car ce saut est la foi.
    La foi consacre l'incertitude et lui offre le salut. C’est aussi pourquoi le croyant ne peut pas vraiment accepter une autre révélation que la sienne, ce serait remettre sa foi en cause. C’est une position soutenue fréquemment par les religieux eux-mêmes : par nature, l’homme de la croyance est intolérant, ou plus exactement : la tolérance est une valeur de la raison, non de la religion[16].
 
 Par définition, la foi est intolérante, car il est impossible que j'ai la foi en quelque chose (autrement dit que je sois persuadé de la vérité de quelque chose) et qu'en même temps j'accepte qu'une croyance différente de la mienne puisse être vraie (car en vertu du principe de non-contradiction, deux croyances contradictoires ne peuvent être vraies en même temps).
 D'ailleurs, l'intolérance de la foi est soulignée à de multiples reprises dans les textes sacrés, qui disqualifient systématiquement les autres croyances :
 
"Si quelqu'un vous dit alors : "Regardez, le Messie est ici !" ou bien : "Il est là", ne le croyez pas. Car de faux messies et de faux prophètes apparaîtront ; ils accompliront de grands miracles et des prodiges pour tromper, même ceux que Dieu a choisis".
 
 
 
 
ou encore :
 
"Eh bien ! si quelqu'un vous annonce une Bonne Nouvelle différente de celle que vous avez reçue, qu'il soit maudit !"
 
 
 
 
 Ainsi, quand Jean Paul II avait proposé, de manière très raisonnable, une réunion de prière des représentants de plusieurs religions, des voix de croyants se sont élevées contre ce qui était jugé comme une aberration. On entendait à cette époque des discours de ce genre : « C’est une honte pour l’Eglise. Comment le Pape peut-il oser faire une chose pareille, on nous a enseigné qu’il n’y a ait qu’une seule religion catholique et universelle. La vérité ne discute pas avec l'erreur ». L’intégrisme est présent dans ce type de déclaration, mais d'un autre côté, ce discours est le discours de la « foi de charbonnier »[19] qui est peut-être la foi par excellence. Ce sur quoi il table, c'est sur la « certitude » de sa foi et comme cette foi ne comporte justement pas de certitude au regard de la raison, on peut dire que le croyant affiche d’abord le sens qu’il donne à son existence, le sens que la religion donne et que l’on y trouve en "vivant en accord avec la religion", ce qui est la définition la plus commune de ce que l’on appelle "l'homme religieux".
    Vue sous cet angle, la vie du croyant est donc écartelée. Il y a les exigences de la raison, il y a aussi les exigences des la foi. La raison commande la tolérance des cultes, la tolérance vis-à-vis de la sexualité etc. La religion demande la confirmation de la foi dans l'Eglise et refuse que l'on relativise la Révélation qui est tenue pour absolue, car venue de Dieu. La religion impose des interdits à l'égard de la sexualité. La raison s'impose comme reconnaissance d’un savoir universel comme celui de la science et trop souvent, elle s’en prend au dogme (de la création ex nihilo, de la virginité de Marie, infaillibilité pontificale etc.). L'homme religieux de ce type, c’est à dire le croyant se trouve confronté avec la difficile nécessité de concilier la foi et la raison. C’est toute la souffrance de la conscience religieuse, celle de l’homme de foi qui s’efforce vers la vertu que la religion lui propose, mais se trouve en but avec les faiblesses de la nature humaine, tandis que sa raison ne peut lui indiquer le chemin que lui montre sa religion.
   
 C'est pourquoi nombre de penseurs ont essayé de remettre en cause cette supériorité de la foi sur la raison.
 
 
 
2.      Pas de conflit entre foi et raison
 
 
 
 
 
 L'utilisation de la raison dans l'interprétation des textes
 
 L'opposition entre foi et raison ne peut manquer d'advenir, notamment lorsque les progrès scientifiques commencent à remettre en cause certains dogmes contenus dans les textes sacrés (cf. l'héliocentrisme). Se pose alors la question du statut accordé à l'Écriture et aux idées qu'elle contient.
 
 Au moyen âge, on accordait quatre sens aux textes : littéral, moral, théologique et allégorique. C'est au XVIIème siècle que l'on revient à une lecture littérale de la bible. Mais va alors se poser en particulier la question de son opposition au sens "rationnel".
 
 Déjà à l'époque de Galilée, la question se posait de savoir s'il fallait faire appel à la révélation biblique dans les discussions de physique (Ex. : la Terre est-elle immobile ou non ?).
 
 Le procès de Galilée est devenu le symbole du conflit entre la science et la religion[20]. Nous nous trouvons en effet en présence d'une contradiction entre ce que dit l'observation scientifique et ce que dit un texte sacré, en l'occurrence la bible.
 Dans sa défense du géocentrisme (le fait que la Terre soit immobile au centre de l'univers, et que le Soleil et tous les autres astres tournent autour d'elle), l'Église catholique s'appuie sur le texte biblique. Dans le livre de Josué, lors de la bataille des Israéliens contre les Amorites, Josué demande en effet à Dieu de prolonger le jour afin que la nation d'Israël ait le temps de remporter la victoire :
 
"Soleil, arrête-toi au dessus de Gabaon ! Lune immobilise-toi sur le val d'Ayalon !"
 
Et le récit continue ainsi :
 
"Le soleil s'arrêta et la lune s'immobilisa jusqu'à ce que la nation d'Israël ait pris le dessus sur ses ennemis"[21].
 
Le texte est clair : le soleil s'est arrêté sous l'ordre de Dieu. Comment cela a-t-il été possible si le Soleil ne tourne pas autour de la Terre ? De plus, les paroles du sage sont explicites :
 
"Le soleil se lève, le soleil se couche, puis il se hâte de retourner à son point de départ"[22].
 
D'ailleurs, il n'y a pas que l'Église catholique qui défende cette thèse, car Luther, le père de la réforme protestante, ne disait pas autre chose quand il écrivait :
 
"Certains prêtent l'oreille à un parvenu d'astrologue qui s'est efforcé de montrer que c'est la terre qui tourne, et non les cieux ou le firmament, le soleil et la lune. Quiconque veut paraître habile doit deviser quelque système nouveau, qui de tous les systèmes est naturellement le meilleur. Cet imbécile veut renverser toute la science de l'astronomie ; mais l'Écriture Sainte nous dit que Josué ordonna au soleil de s'arrêter, et non la terre"[23].
 
Calvin le rejoint sur ce point lorsque, après avoir cité le texte : "Le monde est ferme et ne chancelle point" (Psaumes, XCIII, 1), concluait triomphalement : "Qui osera placer l'autorité de Copernic au-dessus de celle du Saint Esprit ?"[24].
 
À l'inverse, Copernic puis Galilée vont défendre l'héliocentrisme (le fait que c'est le Soleil qui se trouve au centre du système solaire, et la Terre qui tourne autour) à partir de considérations purement astronomiques.
Comment régler ce conflit ?
 
Galilée admet la vérité absolue et inviolable de l'écriture. Cependant, l'erreur peut parvenir de l'interprétation qui est faite des textes.
À l'époque, deux interprétations prévalent :
-         l'interprétation littérale qui part du principe que tout dans la Bible est sacré.
Problème : la Bible est pleine d'incohérences difficilement tenables (ce qui est dit dans un passage est contredit dans un autre passage).
→cette interprétation exotérique est contradictoire.
-         L'interprétation allégorique ou ésotérique de la Bible : on cherche à épurer la Bible et à trouver le sens caché de la Parole divine.
Pour Galilée, si le texte biblique contient des images grossières c'est pour se mettre à la portée du "vulgaire". Il faut donc des interprètes qui dégagent le sens caché et rendent compte de l'écart entre les phénomènes et l'Écriture.
 
 
 
Verbe divin
 
 
 
 
 
Parole
Création (actes)
Écriture
Nature
 
1er écart possible : les déformations du texte dues aux copies et aux traductions.
 
2e écart possible : entre le sens manifeste et le sens latent
 
 On sait aujourd'hui que l'écriture de l'Ancien Testament s'est déroulée sur dix siècles entre le XIIe et le IIe siècle avant JC ; et il faut attendre les alentours de l'an 100 pour que des rabbins pharisiens fixent le détail de la Bible hébraïque (la version définitive attendra la période de l'an 1000).
 De même, les textes les plus anciens du Nouveau Testament datent d'un demi-siècle après l'existence supposée de Jésus. Dans tous les cas de figure, aucun des quatre évangélistes n'a connu réellement, physiquement, le Christ. Dans le meilleur des cas, leur savoir relève du récit rapporté de manière orale, puis transcrit un jour, entre les années 50 de l'ère commune – les épîtres de Paul – et la fin du 1er siècle – l'Apocalypse. Pourtant, aucune copie des évangiles n'existe avant la fin du IIe ou le début du IIIe siècle.
 Une version définitive du Coran établie à partir de plusieurs textes ne verra le jour qu'au passage du millénaire (soit plus de trois siècles après la mort de Mahomet) et on sait qu'il y a au moins 20 ans qui s'écoulent entre la mort de Mahomet (en 632) et la rédaction du 1er Coran (celui-ci date du temps du troisième Calife Othman, qui régna de 644 à 656).
 
 Pour Galilée, la Nature est "fidèle exécutrice des ordres de Dieu".
→ il n'y a pas d'écart dans la Nature
La Nature est inexorable, immuable et elle ne transgresse jamais les limites des lois qui lui sont imposées.
Pourquoi devrait-on suivre plus la Parole que les actes de Dieu ?
En réalité, pour Galilée la Bible est un traité de sagesse pratique et non théorique. Elle est compétente uniquement pour le Salut du croyant[25].
La religion doit donc se plier aux découvertes de la science d'où une balance qui penche singulièrement en faveur de la nature. La Bible en raison de son aspect symbolique n'apporte pas de certitude aussi rigoureuse que la science. En cas de divergence entre les faits expérimentaux et l'Écriture, il ne faut pas mettre en doute la science mais plutôt les interprètes de l'Écriture, donc se soumettre aux faits scientifiques.
Tout ce qui relève de la foi relève d'une lumière surnaturelle qui dépasse la raison humaine. Alors que la science ne découle que de la raison et de l'expérience.
 
Ex. : le trou de l'aiguille
 
"Je vous le déclare, c'est la vérité : il est difficile à un homme riche d'entrer dans le Royaume des cieux. Et je vous déclare encore ceci : il est difficile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, mais il est encore plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu". Matthieu, XIX, 16-30 ; voir aussi : Marc, X, 17-31 ; Luc, XVIII, 18-30 ;
 
"Ceux qui ont nié nos signes et s'en sont écartés avec orgueil, les portes du ciel ne leur seront pas ouvertes, ils n'entreront pas plus au jardin qu'un chameau dans le trou d'une aiguille". Coran, Sourate VII, Les franges, 40.
 
Jésus mit plus tard en garde ses disciples concernant le problème éventuel qui toucherait ceux qui, ayant des richesses terrestres, désirent entrer dans le royaume de Dieu. L’analogie qu’il utilisa est assez remarquable, car il dit : "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu" (verset 24). Les disciples savaient que cet exploit était impossible littéralement, et ils demandèrent donc : "Et qui peut être sauvé ?" (verset 25). Jésus ne faisait pas référence à un chameau littéral passant par le trou d’une aiguille. Mais il faisait allusion à une porte particulièrement basse et étroite dans les murs de Jérusalem par laquelle un chameau pouvait passer à condition qu’il soit entièrement déchargé de son fardeau, et qu’il s’incline et rampe par la petite ouverture, le "trou d’une aiguille". La leçon de Jésus à ses disciples, fut donc la suivante : quelle que soit la quantité de nos richesses, afin de rentrer dans la phase spirituelle du royaume, nous devons entièrement nous détourner de ces fardeaux et occupations terrestres, pour chercher humblement à accomplir sa volonté dans toutes les expériences de la vie. Plus nous possédons de richesses, d’honneur et d’influence de ce monde, plus il sera difficile — bien que pas impossible (verset 27) de sacrifier ces choses-là.
→ "Mais beaucoup qui sont maintenant les premiers seront les derniers, et beaucoup qui sont maintenant les derniers seront les premiers". (Marc, X, 31). Ici, les premiers désignent les riches, et les derniers les pauvres.
 
Ex. : la vierge Marie. Matthieu, II, 25 : "Et il (Joseph) ne l'avait pas connue quand elle enfanta son fils premier-né".
Coran, Sourate XIX, 16-21 :
 
"Mentionne aussi Marie dans le livre. Elle se retira de sa famille vers un lieu oriental. Elle tendit un voile entre elle et eux. Nous lui envoyâmes notre esprit qui prit devant elle la forme d'un homme parfait. Elle dit : Je me réfugie contre toi dans le Miséricordieux. Puisses-tu être fidèle. Il répondit : Je ne suis que le messager de ton Seigneur pour te faire don d'un fils. Elle dit : Comment aurai-je un fils ? Aucun homme ne m'a touchée, je ne suis pas une prostituée. Il répondit : Ce sera ainsi ! Ton Seigneur a dit : Ce m'est facile et nous ferons de lui un signe pour les gens et un grâce. L'ordre est donné. Elle fut enceinte de l'enfant et se retira avec lui à l'écart."
 
 Selon l'interprétation non littérale, lorsque nous parlons de la Vierge Marie des Saintes Ecritures, la Virginité doit avant tout être comprise comme étant de nature Spirituelle. Marie, mère de l'enfant Jésus, était une Sainte femme, vierge de péchés, vierge de défauts, vierge d'impuretés (d'ailleurs, cela donnera naissance au XIXe siècle au dogme catholique de l'immaculée conception).
 
Luc, I, 31, Matthieu, I, 23 : "Je suis vierge" : littéralement : "Je ne connais pas d'homme". "Connaître un homme" est la manière biblique de dire "avoir des relations sexuelles avec lui". Le v. 31 s'inspirait de la prophétie d'Isaïe 7,14 :
 
"Le Seigneur vous donne lui-même un signe : la jeune femme va être enceinte et mettre au monde un fils. Elle le nommera Emmanuel, « Dieu est avec nous »."
 
La traduction grecque de ce texte de l'Ancien Testament (dans la Septante) remplaçait la "jeune fille" par la "vierge". En s'inspirant de cette traduction, Luc mettait en valeur la virginité de Marie. La virginité était annoncée par le prophète Esaïe (chap.7 v.14). Le mot hébreu employé "alma" peut signifier vierge ou jeune fille, mais une jeune fille à cette époque, était forcément vierge ! Non, pour dire "vierge", il aurait écrit "bathoula". La traduction dite des Septante (traduction de l'Ancien Testament en grec commun, attribuée à 70 rabbins d'Alexandrie, terminée en 150 avant J.C., et citée fréquemment par les apôtres) donne "parthenos" ce qui signifie exclusivement vierge.
→ on voit donc bien un glissement de sens. D'un mot hébreu qui peut signifie avant tout "jeune fille", on passe à un mot grec qui signifie exclusivement "vierge".
 
Spinoza va reprendre la vision de Galilée et la systématiser. Cf. Traité théologico-politique.
 
Stephen Jay Gould résume bien l'attitude classique actuelle de toutes les grandes religions occidentales, et de bon nombre de scientifiques :
 
"L'absence de conflit entre la science et la religion provient d'une absence de recouvrement entre leurs domaines respectifs : la science s'occupe de la nature concrète de l'univers, tandis que la religion est en quête de valeurs morales et de sens spirituel."
 
 
 
3.      La raison au-dessus de la foi : les critiques de la religion
 Pour Freud : "Il n'y a aucune instance au-dessus de la raison"[27]. Non seulement raison et foi n'ont aucun commerce entre elles, mais la raison doit être placée au-dessus de la foi, car tout ce qui relève de cette dernière peut être ramené à une forme d'illusion. La raison devient même une arme pour combattre la religion, comme l'écrit Michel Onfray :
 
"L'obscurantisme, cet humus des religions, se combat avec la tradition rationaliste occidentale"[28].
 
 On peut retenir au moins trois critiques de la religion (même si celles-ci sont beaucoup plus nombreuses) : celle de Marx, celle de Nietzsche et celle de Freud.
 
→ Cf. texte de MarxCritique de la philosophie du droit de Hegel, 1844, trad. M. Simon, Éd. Aubier, 1971, pp. 51-52.
→ Cf. texte de Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, IV, 61, trad. Geneviève Bianquis, coll. 10/18, pp. 107-108.
 
Ici, nous n'allons développer que la critique freudienne, laquelle se rapproche beaucoup de celle de Nietzsche.
 
 Pour Freud, la part la plus significative de "l'inventaire psychique" d'une culture consiste en ses représentations religieuses, qu'il qualifie d' "illusions". Mais pourquoi ce terme d'illusion ?
 
Précision : la différence entre l'illusion et l'erreur.
 
 L'analyse que fait Freud de la religion s'intègre dans une analyse plus générale des rapports existant entre la société et l'individu, ou plus précisément du rôle joué par l'entreprise de civilisation sur l'individu.
La première idée développée par Freud est que la culture est contraignante pour l'individu, car la vie en commun impose des sacrifices :
 
"Il est remarquable que les hommes, si tant est qu'ils puissent exister dans l'isolement, ressentent néanmoins comme une pression pénible les sacrifices que la culture attend d'eux pour permettre une vie en commun"[29].
 
La vie en communauté contraint en effet l'homme à maîtriser ses pulsions :
 
"Il semble bien plutôt que toute culture doive nécessairement s'édifier sur la contrainte et le renoncement pulsionnel"
 
 
 
 
Pulsions qui ne disparaissent cependant pas et qui continuent à s'opposer à l'entreprise culturelle :
 
"chez tous les hommes sont présentes des tendances destructives, donc antisociales et anticulturelles, et qu'elles sont, chez un grand nombre de personnes, suffisamment fortes pour déterminer leur comportement dans la société humaine"[31].
 
La civilisation impose donc des règles aux hommes qui vont à l'encontre de leurs pulsions. Celles-ci ne restent cependant pas extérieures à l'individu. Les contraintes externes et collectives sont intériorisées en étant adoptées par le Surmoi. Elles deviennent donc des contraintes internes et individuelles.
Mais la nature, contre laquelle la culture est censée protéger l'homme, lui inflige aussi son lot de contraintes.
 
"Comme pour l'humanité dans son ensemble, la vie, pour l'individu, est lourde à supporter. La culture à laquelle il participe lui impose un lot de privations, les autres hommes lui dispensent un degré de souffrance, soit malgré les prescriptions de la culture, soit par suite de l'imperfection de cette culture. S'y ajoute ce que la nature, non soumise à la contrainte, lui inflige comme dommages et qu'il appelle destin"[32].
 
D'après Freud, cette situation devrait entraîner chez l'homme un "état d'attente angoissée". Or, ce n'est pas le cas. Pour se défendre contre les dommages créés en lui par la culture, l'homme développe en effet contre celle-ci un sentiment d'hostilité. Et contre les "superpuissances de la nature", du destin, c'est la culture elle-même qui protège l'homme. Elle "humanise" la nature, la psychologise, ce qui procure un soulagement immédiat. C'est ici qu'intervient le caractère religieux.
 
"Cette situation, en effet, n'est rien qui soit nouveau, elle a un modèle infantile, elle n'est à vrai dire que la continuation de ce qui a précédé, car on s'était déjà trouvé, petit enfant, en pareil désaide, face à un couple parental qu'on avait toute raison de redouter – le père surtout –, mais de la protection de qui on était assuré contre les dangers qu'on connaissait alors. De là à assimiler les deux situations, il n'y avait donc qu'un pas"[33].
 
L'homme va non seulement faire des forces de la nature des êtres humains, mais il leur donne un caractère de père, il en fait des dieux. Ici, l'homme personnifie ce qu'il veut comprendre, pour pouvoir le dominer.
Selon Freud, les dieux ont une triple tâche :
-         exorciser les effrois de la nature
-         réconcilier avec la cruauté du destin (en particulier tel qu'il se montre dans la mort)
-         dédommager des souffrances et privations imposées à l'homme par la vie en commun dans la culture
 
Remarque sur le caractère "paternel" de Dieu :
 
 Outre, qu'il est qualifié en tant que tel notamment dans la religion chrétienne ("Dieu notre Père" in Corinthiens, I, 3 ou Romains, I, 7 par exemple; Jésus est le fils de Dieu), Dieu apparaît comme un père dans ses façons d'être.
 Dans l'enfance, la mère devient le premier objet d'amour, et aussi la première protection contre tous les dangers indéterminés qui menacent l'enfant dans le monde extérieur, elle devient selon Freud le premier "pare-angoisse". Mais par la suite, ce rôle est repris par le père et lui reste dévolu pendant toute l'enfance. Cependant, le rapport au père est affecté d'une ambivalence particulière. Le père est celui qui protège mais en même temps celui qui interdit et punit. D'où le fait qu'il soit à la fois aimé et admiré, et craint.
On retrouve cette ambivalence dans tous les textes sacrés des religions monothéistes. Dieu, en effet, pardonne et châtie :
 
"Au nom de Dieu le Miséricordieux, plein de Miséricorde". Premier verset du Coran.
"Apprends à mes esclaves que moi, certes, je pardonne, j'ai pitié, mais je châtie affreusement". Sourate XV, versets 49-50.
 
Le monothéisme a accompli pleinement cette identification de Dieu au Père. Cf. supra sur l'unicité de Dieu.
 
Toutes les religions se caractérisent par la présence d'un au-delà, d'une autre vie après celle-ci, qui n'en sera que la récompense. Ainsi, la mort est exorcisée. Le mal sera puni, le bien sera récompensé.
 
Remarque sur les différents monothéismes :
 
Une constante : Dieu est unique, et le plus grand péché est d'ajouter des Dieux.
Cf. les 10 commandements, dont le premier est : "Tu n'adoreras pas d'autres dieux que moi."
Cf. Marc : "Je vous le déclare, c'est la vérité : les hommes pourront être pardonnés de tous leurs péchés et de toutes les insultes qu'ils auront prononcées. Mais l'homme qui insultera le Saint-Esprit ne recevra jamais de pardon car il aura commis un péché éternel". III, 28-29.
Cf. Coran : "Dieu ne pardonne pas qu'on lui ajoute des dieux. Les autres péchés, Dieu les pardonne à qui il veut, mais ajouter des dieux est un péché sans borne" IV, 48.
 
Sur les dogmes religieux
 
→ cf. texte de Freud, L'Avenir d'une illusion (1927), trad. M. Boniface, Paris, éd. PUF, coll. Quadrige, 2e éd. 1996, pp. 43-46.
Question : Cette distinction entre foi et raison, doit-elle nous amener à opposer la science, laquelle repose sur la raison et la religion laquelle repose sur la foi ?
4.      La science et la religion s'opposent-elles ?
"De tous les antagonismes de croyances, le plus ancien, le plus largement répandu, le plus profond et le plus important est celui qui existe entre la Religion et la Science"[34].
 
Nietzsche :
 
"En réalité, il n'existe ni parenté, ni amitié, ni même hostilité entre la religion et la vraie science : elles vivent sur des planètes différentes"[35].
 
"Le sens du culte religieux est de dompter la nature, de la diriger au bénéfice de l'homme, donc de lui imposer un déterminisme qui n'est pas le sien au départ ; alors qu'à l'époque actuelle on cherche à connaître le déterminisme de la nature pour se régler sur lui. Bref, le culte religieux repose sur des idées de magie opérant d'homme à homme ; et le mage est plus ancien que le prêtre"[36].
 
Russell :
 
"Entre la science et la religion a eu lieu un conflit prolongé, dont, jusqu'à ces dernières années, la science est invariablement sortie victorieuse."
 
 
 
 
→ cf. texte de Werner Heisenberg, La partie et le tout, Le monde de la physique atomique, 1969, Paris, Flammarion, 1990, pp. 118-119, 124.
 
Nietzsche :
 
"En toute rigueur, aucune science n'est "sans présupposé", l'idéal même en est impensable, contraire à la logique : il faut toujours qu'une philosophie, une "croyance", précède pour conférer à la science, une direction, un sens, une limite, une méthode, un droit à l'existence"[38].
 
"C'est encore sur une foi métaphysique que repose notre foi dans la science"[39].
 
La science croit en l'idéal de vérité.
 
Ernest Renan : « La science est donc ma religion. » (L'avenir de la science, 1890).
 
 
 
 
IV.              La religiosité de l'homme sans religion
 
→ cf. texte de Mircea Éliade, Le Sacré et le Profane, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988,p. 173-180.
 
 Question donc, avec Frédéric Lenoir : « Faut-il abandonner l’idée de Dieu, renoncer à toute quête de l’absolu puisque les religions en donnent souvent un visage si cruellement humain ? Non. Car si la religion est culturelle et collective, la foi et la recherche de sens sont éminemment universelles et individuelles. Un mot permet de bien distinguer la religion communautaire de cette quête personnelle : la spiritualité. Croyant ou non, religieux ou non, nous sommes tous plus ou moins touchés par la spiritualité, dès lors que nous nous demandons si l’existence à un sens, s’il existe d’autres niveaux de réalité ou si nous sommes engagés dans un authentique travail sur nous-mêmes »

l'homme peut se passer de la religion, mais pas de la spiritualité (la spiritualité n'est pas la religion ; elle ne se résume pas à la religion ; il existe une spiritualité non religieuse).
 
 
 
V.                 La religion comme phénomène social
 
1.      La pratique religieuse
 
2.      Morale et religion : la question des valeurs
 
"Que faire si Dieu n'existe pas, si Rakitine a raison de prétendre que c'est une idée forgée par l'humanité ? Dans ce cas l'homme serait le roi de la terre, de l'univers. Très bien ! Seulement, comment sera-t-il vertueux sans Dieu ? Je me le demande. […] En effet, qu’est ce que la vertu ? Réponds-moi Alexéi. Je ne me représente pas la vertu comme un chinois, c'est donc une chose relative ? L'est-elle, oui ou non ? Ou bien elle n’est pas une chose relative? Question insidieuse. […] Alors tout est permis ?"
 
Paroles de Mitia dans Les frères Karamazov de Dostoïevski, 4e partie, Livre XI, chapitre 4.
 
 Comme nous l'avons écrit plus haut, la religion est un monde de valeurs, c'est-à-dire qu'elle distingue fondamentalement ce qui relève du bien et du mal. La première de ces distinctions est sans doute la distinction entre ce qui relève du sacré, et ce qui relève du profane.
 Le sacré se dit des choses qui concernent la religion, le culte de Dieu, et ne prend son sens que dans l'opposition au profane. Mais cette opposition n'est pas neutre, elle confère une valeur à un domaine (le sacré), pour déprécier l'autre (le profane). En un sens donc, si l'on entend par morale la position de valeurs, alors la religion est par essence morale. D'ailleurs, toutes les religions (et en particulier les grandes religions monothéistes) énoncent ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire.
→ Cf. Les tables de la loi dans l'Ancien testament (les 10 commandements)
→ Cf. les 5 piliers de l'Islam + la Charia
Les textes religieux sont en grande partie des suites de préceptes.
 
 La religion est donc souvent perçue comme le véritable garant de la morale. La religion ajoute aux commandements moraux l'autorité d'un commandement divin. Kant met en doute l'idée que la morale ait besoin de la caution de la religion. Dès la première page de La religion dans les limites de la simple raison, il admet en effet que :
 
"La morale, qui est fondée sur le concept de l'homme, en tant qu'être libre s'obligeant pour cela même, par sa raison à des lois inconditionnées, n'a besoin ni de l'Idée d'un Être différent, supérieur à lui pour qu'il connaisse son devoir, ni d'un autre mobile que la loi… elle n'a aucunement besoin de la religion".
 
Sartre considère en revanche que la disparition de Dieu constitue un véritable problème pour la morale :
 
"L'existentialiste, au contraire, pense qu'il est très gênant que Dieu n'existe pas, car avec lui disparaît toute possibilité de trouver des valeurs dans un ciel intelligible ; il ne peut y avoir de bien a priori, puisqu'il n'y a pas de conscience infinie et parfaite pour le penser"[40].
 
Il reprend la formule de Dostoïevski selon laquelle "Si Dieu n'existait pas, tout serait permis" et en fait "le point de départ de l'existentialisme".
 
"En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher"[41].
Sartre en conclue que "l'homme est condamné à être libre", c'est lui qui doit décider de la valeur qu'il donne à son existence, sans pouvoir se référer à une morale religieuse ou autre :
 
"Aucune morale générale ne peut vous indiquer ce qu'il y a à faire ; il n'y a pas de signe dans le monde"[42].
 
C'est donc l'homme qui doit "inventer" les valeurs, Sartre considérant cependant que l'homme est malgré tout la fin et la valeur de toute chose (c'est en ce sens que l'existentialisme est un humanisme).
 
Sur le statut des femmes :
Coran : "les hommes ont le pas sur elles" II, 228. "les hommes ont autorité sur les femmes" "frappez-les" IV, 34.
Lorsque Dieu créée Eve avec une côte d'Adam, celle-ci est nommée "compagne de l'homme". C'est elle qui commet le péché originel.
Paul : "L'homme n'a pas besoin de se couvrir la tête, parce qu'il reflète l'image de la gloire de Dieu. Mais la femme reflète la gloire de l'homme ; en effet l'homme n'a pas été créé à partir de la femme, mais c'est la femme qui a été créée à partir de l'homme. Et l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais c'est la femme qui a été créée pour l'homme". Corinthiens, XI, 7-9.
 
 
3.      La laïcité
 
C. Henri Pena-Ruiz
 
Conclusion
 
 L'homme peut se passer de religion (si on donne à ce mot son sens courant), mais il ne peut se passer de "foi", ou de croyances fondamentales, c'est-à-dire des choses qu'il tient pour vraies, mais qu'il ne peut pas prouver, parce qu'elles sont elles-mêmes supposées au fondement de cette démonstration.

 
 
L'essentiel à connaître sur l'Islam : doctrines et pratiques
 
 Fondée par Mahomet, l'islam et une religion monothéiste qui se place, dès le début, dans la continuité du judaïsme et du christianisme.
 
 Le dogme musulman veut que : "lorsque Mahomet eut accomplit sa quarantième année, Dieu envoya vers lui l'ange Gabriel pour lui porter une vision" (al-Tabari, chroniqueur musulman – fin Xe siècle). Et le prophète transmit les "révélations" à ses compagnons, les cahabis.
 À sa mort (en 632), aucune transcription définitive n'existe. Le Coran n'est achevé que vers 650. Il comporte 114 "chapitres", les sourates, elles-mêmes divisés en versets.
 Mais le Coran n'apporte pas de réponse précise à tous les problèmes. Les compagnons de Mahomet cherchent des précédents dans les paroles (hadîth) et les actes du prophète pour éclairer certains passages obscurs du Coran, donner des conseils relatifs au culte ou des exemples de morale quotidienne. Ils forment la sunna, règle de l'orthodoxie musulmane. L'ensemble des règles ainsi réunies constitue la chari'a.
 
 
 
Allah, les prophètes et les anges
 
 L'islam est dominé par le thème fondamental du monothéisme (Islam signifie "se remettre à Dieu"). Sa doctrine consiste en quelques idées simples, exprimées le plus souvent de façon lyrique.
 À l'inverse du christianisme, mais comme dans le judaïsme, les prophètes sont tous des hommes, y compris Jésus. Il n'y a pas un Dieu en trois personnes mais un Dieu dont l'unité est parfaite. Des archanges siègent autour de lui : Gabriel, qui inspira Mahomet, Michel, "l'ami des juifs", Azraël, "l'ange de la mort" ; et les anges supportent le trône, luttent contre ses ennemis et se font l'intermédiaire entre lui et les hommes. Sur terre, errent les djinns bons ou mauvais et, notamment leur chef, Iblis, qui est une sorte de Satan. Après la mort, l'âme, séparée du corps, va soit en enfer, soit au purgatoire (al Berzahk). Martyrs[43] et prophètes, eux, vont directement au paradis (Janna). Les autres âmes attendent le Jugement dernier. Les calamités ou les délices qui les attendent sont extrêmes…
 
Les cinq piliers de l'islam
 
Tout musulman doit accomplir cinq actes fondamentaux qui sont les piliers de l'islam.
 
-         Premier pilier : la Chahâdâ. À chaque moment important de sa vie, il prononce sa profession de foi.
-         Deuxième pilier : les cinq prières quotidiennes (as-Salât) en direction de La Mecque, précédées d'ablution.
-         Troisième pilier : le Zakât, aumône ou impôt de solidarité destiné aux pauvres.
-         Quatrième pilier : le jeûne (Sawm) qui impose, pendant le neuvième mois du calendrier musulman (Ramadan), l'abstention complète de la nourriture, de boisson et de relations sexuelles entre l'aurore et le crépuscule. Le jeûne se termine parla fête de l'A' id aç-çaghîr (ou Aïd el Fitr ou, encore, Aïd el Seghir).
-         Cinquième pilier : le pèlerinage à La Mecque (al Hajj) qui doit être effectué au moins une fois dans la vie par tout musulman bien portant et n'ayant pas de problèmes matériels. Les croyants s'y présentent simplement vêtus d'un drap blanc noué autour du corps.
 
A côté de ces prescriptions, existent divers rites parfois partagés par d'autres religions monothéistes : la circoncision ; l'interdiction de consommer du porc, des boissons alcoolisées, des représentations humaines ; la guerre sainte (le Jihâd), à la fois lutte contre ses propres "démons" et lutte contre les hérétiques ; le mariage enfin, et la procréation. À ce sujet, la monogamie est encouragée.

 
 
Bibliographie
 
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion
Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse
Mircea Éliade, Le profane et le sacré
Feuerbach, L'essence du christianisme
Freud, Moïse et le monothéisme ; L'avenir d'une illusion* ; Totem et tabou*
Gauchet Marcel, Le désenchantement du monde
Stephen Jay Gould, "Deux magistères qui ne se recouvrent pas", in Antilopes, dodos et coquillages.
Hegel, Leçons sur la philosophie de la religion ; Phénoménologie de l'esprit
Hobbes, Léviathan*
Kant, La religion dans les limites de la simple raison*
Marx, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel ; La question juive
Nietzsche, L'Antéchrist ; Par-delà le bien et le mal*
Michel Onfray, Traité d'athéologie*
Otto Ranke, Le sacré
Platon, Euthyphron*
Schelling, Philosophie de la mythologie
Schleiermacher, Discours sur la religion
Spinoza, Traité théologico-politique*
Vernant Jean-Pierre, Mythe et société en Grèce ancienne
Weber, Économie et société
 
La critique de la raison arabe de Mohamed Abed el Jabri (en 4 tomes).
 
Bien entendu, il est important de connaître aussi un minimum les grands textes sacrés : la Bible et le Coran en particulier.


[1] Les Deux Sources de la morale et de la religion, 1933, chap. II : "La religion statique", Félix Alcan, p. 105.
[2] Cassirer, Essai sur l'homme, chapitre 7, Mythe et religion, p. 110.
[3] Évangile selon Saint Jean, I, 18.
[4] Chapitre XXXIII, verset 11. Rappelé dans le Deutéronome, XXXIV, 10, à la mort de Moïse : "le Seigneur s'entretenait face à face avec lui".
[5] Exode, XXXIII, 20.
[6] C'est ce que rappelle notamment Marcel Conche dans Le sens de la philosophie : "On voit, par exemple, les théistes donner plusieurs "preuves" de l'existence de Dieu, qui ne sont en réalité que des arguments, car, si "preuve" il y avait, une seule suffirait…"
[7] Critique de la raison pure, p. 427.
[8] Enquête sur l'entendement humain, chapitre XII, p. 246.
[9] Kierkegaard, Post-scriptum.
[10] "Si je ne vois pas la marque des clous dans ses mains, si je ne mets pas mon doigt à la place où étaient les clous et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas". Paroles de Thomas aux autres disciples, Évangile de Jean, XX, 25.
[11] Job, I, 8.
[12] Ibid., I, 21.
[13] Ibid., II, 10.
[14] Paroles attribuées à tort à Saint Augustin et rapportées en réalité par Tertullien dans La chair du Christ, (V, 4), à propos de la résurrection, sous la forme : "credibile est quia ineptum est" ("C'est croyable parce que c'est insensé.").
[15] Évangile selon Matthieu, V, 3.
[16] Cette idée est elle aussi contestable : cf. Freud plus loin.
[17]Évangile selon Matthieu, XXIV, 23.
[18] Epître aux Galates, I, 8.
[19] En 1656, Fleury de Bellingen aimait raconter le conte que voici :
"Le diable, un jour, demanda à un malheureux charbonnier :
- Que crois-tu ?
Le pauvre hère répondit :
- Toujours je crois ce que l'Église croit.
Le diable insista :
- Mais à quoi l'Église croit-elle ?
L'homme répondit :
- Elle croit ce que je crois.
Le diable eut beau insister, il n'en tira guère plus et se retira confus devant l'entêtement du charbonnier."
Ce conte a donné naissance à l'expression "avoir la foi du charbonnier", qui signifie posséder une conviction naïve, absolue, sincère, avoir une foi simple qui ne se discute en aucune façon. Georges Brassens l'a ainsi chantée : "J'voudrais avoir la foi, la foi d'mon charbonnier, Qu'est heureux comme un pape, et con comme un panier…"
[20] Galilée a été condamné par l'inquisition en 1632. Il doit abjurer ses erreurs et est assigné à résidence jusqu'à sa mort 10 ans plus tard. Il ne sera officiellement réhabilité par l'Eglise catholique qu'en 1965, lors du concile Vatican II.
[21] Josué, chapitre X, versets 12-13.
[22] Ecclésiaste, I, 5.
[23] Cité par Russell dans Science et religion, Folio essais, p. 19.
[24] Ibid.
[25] Ici, Galilée rejoint Saint Augustin, qui écrivait : "moi je vous déclare que jamais l'Evangile ne met sur les lèvres du Seigneur des paroles comme celles-ci : Je vous envoie le Paraclet pour vous enseigner la course de la lune et du soleil. Jésus-Christ voulait faire des chrétiens et non des mathématiciens. Sur ces matières,  les hommes n’ont besoin que des enseignements qui leur sont donnés dans les écoles." Conférence avec Félix le Manichéen, Livre I. 
[26] "Des magistères qui ne se recoupent pas", in Antilopes, dodos et coquillages, p. 508.
[27] L'avenir d'une illusion, p. 29.
[28] Traité d'athéologie, Introduction, p. 30.
[29] L'avenir d'une illusion, p.6.
[30] Ibid., p. 7.
[31] Ibid.
[32] Ibid., p. 16.
[33] Ibid., p. 17.
[34] Herbert Spencer, Premiers principes (1862), Chapitre I, Religion et science, pp. 8-9.
[35] Humain, trop humain, § 110, p. 106.
[36] Ibid., § 111,pp. 110-111.
[37] Science et religion, p. 7.
[38] Généalogie de la morale, Troisième traité, § 24, GF p. 170.
[39] Ibid.
[40] L'existentialisme est un humanisme, p. 38.
[41] L'existentialisme est un humanisme, p. 39.
[42] Ibid., p. 46.
[43] Un martyr = un homme, le martyre = supplice.


Date de création : 16/01/2011 @ 16:20
Dernière modification : 16/01/2011 @ 16:30
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