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Texte à méditer :  Time is money.
  
Benjamin Franklin
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Figures philosophiques

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L'argument physico-théologique ou téléologique

  "Tous les hommes qui persistent à ignorer Dieu sont fondamentalement insensés. En contemplant les biens qu'ils avaient sous les yeux, ils ont été incapables de discerner « Celui qui est » ; en examinant ses œuvres, ils n'ont pas reconnu l'artisan qui en est l'auteur. Mais ce qu'ils ont pris pour des dieux gouvernant le monde, ce sont le feu, le vent, l'air rapide, les constellations, l'eau impétueuse ou encore le soleil et la lune. S'ils ont été séduits par leur beauté au point de les considérer comme des dieux, ils auraient dû se rendre compte que le Maître de ces choses leur est bien supérieur, car celui qui les a créées est la source de la beauté. S'ils ont été frappés par leur puissance et leur efficacité, ils auraient dû en conclure que celui qui les a formées est bien plus puissant. Car, en réfléchissant à la grandeur et à la beauté des créatures, on peut, par analogie, se faire une idée de leur Créateur.
  Cependant, il ne faut pas trop blâmer ces gens : ils ne s'égarent peut-être qu'en cherchant Dieu et en voulant sincèrement le trouver. Entourés par ses œuvres, ils les étudient attentivement ; ils sont séduits par leur apparence, car ce qu'ils voient est tellement beau ! Toutefois, ils ne sont pas entièrement excusables : s'ils ont pu acquérir assez de connaissances pour arriver à étudier les secrets du monde, pourquoi n'ont-ils pas découvert plus rapidement le Maître de tout ce qu'ils observent ?"

 

Livre de la Sagesse, 13, 1-9, Alliance Biblique Universelle, 1996, p. 1376-1377.



  "La quatrième cause [par où s'explique la formation dans les âmes des hommes des idées qui ont les dieux pour objets], et certes la plus forte, c'est le mouvement uniforme du ciel, la révolution du soleil et de la lune, le groupement de tous les astres, la diversité, la beauté, l'ordre qui règnent dans l'univers et qui, pour peu qu'on les considère, montrent qu'il n'y a rien là d'un assemblage fortuit. Si, entrant dans une maison, dans un gymnase, dans une enceinte affectée à un tribunal, on constate que tout y est disposé suivant un plan rationnel, avec art et méthode, on jugera que pareil arrangement a une cause, qu'il y a une intelligence qui l'a ordonné et se fait obéir; de même et bien plus encore en présence de tant de mouvements, de si grands changements périodiques, d'un tel ordre établi parmi des corps si nombreux et de telles dimensions, sans que jamais, dans le cours infini des siècles, la régularité soit en défaut et l'attente trompée, on devra conclure qu'une intelligence gouverne la nature et règle la marche des choses."

 

Cicéron, De la nature des dieux, 45 av. J.-C., Livre II, § 5, tr. fr. Charles Appuhn, Classiques Garnier, 1935, p. .



  "Figurons-nous que nous soyons plongés dans une obscurité aussi épaisse que celle qui, à ce qu'on rapporte, désola les régions voisines de l'Etna quand ce volcan fut en éruption, que pendant deux jours les gens ne se reconnaissaient plus et qu'on crut revivre quand enfin le soleil reparut. Supposons qu'il nous soit donné au sortir de ces ténèbres de voir la lumière et le ciel, quel aspect revêtirait-il pour nous ? La présence quotidienne de certains objets, l'accoutumance des yeux font que nous les contemplons sans surprise et que nous n'éprouvons pas le besoin de nous les expliquer, comme si la nouveauté d'un spectacle devait, plus que sa grandeur, nous inciter à la recherche des causes. Mérite-t-il vraiment le nom d'homme, celui qui, en présence de tant de mouvements bien réglés, d'un ordre si parfait régnant au ciel, des liens unissant de façon si harmonieuse toutes les parties du monde les unes aux autres, se refuse à croire à une raison ordonnatrice, prétend mettre au compte du hasard un arrangement calculé de façon si savante que notre science en est déconcertée ? Quand nous voyons un mouvement résulter d'un agencement mécanique, comme c'est le cas pour la sphère de Posidonius, pour une horloge et bien d'autres machines, hésitons-nous à croire que c'est l'effet d'un travail de la raison ? Et devant le ciel emporté, avec une vitesse qui confond, dans son mouvement rotatoire, devant les retours périodiques propres à garantir le salut et la conservation de tous les êtres, nous mettrions en doute l'intervention, je ne dis pas seulement d'une raison, mais d'une raison supérieure et divine ? Il est licite au point où nous en sommes de renoncer aux façons rigoureuses d'argumenter propres aux philosophes, il suffit d'ouvrir les yeux à la beauté de l'ensemble que nous disons être l'œuvre d'une providence divine."

 

Cicéron, De la nature des dieux, 45 av. J.-C., Livre II, § 34, tr. fr. Charles Appuhn, Classiques Garnier, 1935, p. 195-197.



  "Vous [les stoïciens] dites qu'il y a trop d'art dans le monde et qu'on y voit trop de merveilles pour ne pas y reconnaître la main d'un ouvrier divin, et vous abaissez cette majesté divine jusqu'à la vouloir trouver dans l'organisation délicate des abeilles et des fourmis ; comme s'il y avait parmi les dieux quelque Myrmécide, chargé de la fabrication de tous les menus ouvrages. Vous prétendez que sans Dieu rien ne peut se faire. Voici Straton de Lampsaque qui affirme le contraire, et qui décharge Dieu d'une tâche véritablement énorme. Puisque, dit-il, les prêtres des dieux ont le privilège de ne point travailler, n'est-il pas bien plus juste encore d'étendre ce privilège jusqu'aux dieux eux-mêmes ? Je n'ai pas besoin, ajoute-t-il, du concours des dieux pour fabriquer le monde. Tout ce qui existe est l'ouvrage de la nature, non pas qu'elle ait opéré avec ces petits corps semés d'aspérités ou polis armés de crochets ou de bras, et le vide entre deux. Ce sont là, dit Straton, des rêves de Démocrite ; c'est de l'imagination et non de la science. Pour lui, interrogeant l'une après l'autre les diverses parties du monde, il prouve que rien ne se fait et n'existe qu'en vertu de poids et de mouvements naturels. Ainsi il affranchit Dieu d'un grand travail et me délivre d'une grande crainte. Comment penser en effet que Dieu gouverne notre destin sans trembler nuit et jour devant cette puissance suprême ; et sans craindre, lorsque le malheur fond sur nous (et quel homme en est épargné), que nous ne soyons justement frappés ? Cependant je ne suis pas partisan de Straton, je ne le suis pas non plus de votre doctrine. Tantôt l'une, tantôt l'autre des deux opinions me semble la plus probable."

 

Cicéron, Premiers académiques, 45 av. J.-C., II, 38.



  "L'acte de philosopher ne consiste en rien d'autre que dans l'examen rationnel des étants, et dans le fait de réfléchir sur eux en tant qu'ils constituent la preuve de l'existence de l'Artisan [Dieu], c'est-à-dire en tant qu'ils sont [analogues à] des artefacts — car de fait, c'est dans la seule mesure où l'on en connaît la fabrique que les étants constituent une preuve de l'existence de l'Artisan ; et la connaissance de l'Artisan est d'autant plus parfaite qu'est parfaite la connaissance des étants dans leur fabrique ".

 

Averroès, Discours décisif, 1179, § 2, tr. fr. Marc Geoffroy, GF, 1996, p. 103.


 

 "La cinquième voie est tirée du gouvernement des choses. Nous voyons que des êtres privés de connaissance, comme les corps naturels, agissent en vue d'une fin, ce qui nous est manifesté par le fait que, toujours ou le plus souvent, ils agissent de la même manière, de façon à réaliser le meilleur ; il est donc clair que ce n'est pas par hasard, mais en vertu d'une intention qu'ils parviennent à leur fin. Or, ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirigé par un être connaissant et intelligent, comme la flèche par l'archer. Il y a donc un être intelligent par lequel toutes choses naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet être, c'est lui que nous appelons Dieu."
 
Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1273, Partie I, Question 2, article 3.


  "J'aimerais mieux croire toutes les fables de la Légende, du Thalmud et de l'Alcoran, que de croire que cette grande machine de l'univers, où je vois un ordre si constant, marche toute seule et sans qu'une intelligence y préside. Aussi Dieu n'a-t-il jamais daigné opérer des miracles pour convaincre les athées, ses ouvrages mêmes étant une sensible et continuelle démonstration de son existence. Une philosophie superficielle fait incliner quelque peu vers l'athéisme, mais une philosophie plus profonde ramène à la connaissance d'un Dieu car, tant que l'homme dans ses contemplations n'envisage que les causes secondes qui lui semblent éparses et incohérentes, il peut s'y arrêter et n'être pas tenté de s'élever plus haut, mais, lorsqu'il considère la chaîne indissoluble qui lie ensemble toutes ces causes, leur mutuelle dépendance, et, s'il est permis de s'exprimer ainsi, leur étroite confédération, alors il s'élève à la connaissance du grand Être qui, étant lui-même le vrai lien de toutes les parties de l'univers, a formé ce vaste système et le maintient par sa providence. L'absurdité même des opinions de la secte la plus suspecte d'athéisme est la meilleure démonstration de l'existence d'un Dieu, je veux parler de l'école de Leucippe, de Démocrite et d'Épicure, car il me paraît moins absurde de penser que quatre éléments variables, avec une cinquième essence, immuable, convenablement placée et de toute éternité, puissent se passer d'un Dieu, que d'imaginer qu'un nombre infini d'atomes ou d'éléments infiniment petits et n'ayant aucun centre déterminé vers lequel ils puissent tendre, aient pu par leur concours fortuit, et sans la direction d'une suprême intelligence, produire cet ordre admirable que nous voyons dans l'univers."

 

Francis Bacon, Essais de morale et de politique, "De l'athéisme", 1625, tr. fr. F. Riaux, in Œuvres, volume 2, Charpentier, 1843, p. 278-279.

 

  "I had rather believe all the fables in the Legend, and the Talmud, and the Alcoran, than that this universal frame is without a mind. And therefore, God never wrought miracle, to convince atheism, because his ordinary works convince it. It is true, that a little philosophy inclineth man's mind to atheism; but depth in philosophy bringeth men's minds about to religion. For while the mind of man looketh upon second causes scattered, it may sometimes rest in them, and go no further; but when it beholdeth the chain of them, confederate and linked together, it must needs fly to Providence and Deity. Nay, even that school which is most accused of atheism doth most demonstrate religion; that is, the school of Leucippus and Democritus and Epicurus. For it is a thousand times more credible, that four mutable elements, and one immutable fifth essence, duly and eternally placed, need no God, than that an army of infinite small portions, or seeds unplaced, should have produced this order and beauty, without a divine marshal."

 

Francis Bacon, "Of atheisme", The Essayes Or Covnsels, Civill and Morall, 2d edition, 1625, chapitre XVI, Donohue, Henneberry & co., 1883, pp. 80-81.



  "Quelques efforts que fassent les athées pour effacer l’impression que la vue de ce grand monde forme naturellement dans tous les hommes, qu’il y a un dieu qui en est l’auteur, ils ne sauraient l’étouffer entièrement, tant elle a des racines fortes et profondes dans notre esprit. Si ce n’est pas un raisonnement invincible, c’est un sentiment et une vue qui n’ont pas moins de force que tous les raisonnements. Il ne faut pas se forcer pour s’y rendre, mais il faut se faire violence pour la contredire.
  La raison n’a qu’à suivre son instinct naturel pour se persuader qu’il y a un dieu créateur de tout ce que nous voyons, lorsqu’elle jette les yeux sur les mouvements si réglés de ces grands corps qui roulent sur nos têtes : sur cet ordre de la nature qui ne se dément jamais : sur l’enchaînement admirable de ses diverses parties qui se soutiennent les unes les autres, et qui ne subsistent toutes que par l’aide mutuelle qu’elles s'entreprêtent : sur cette diversité de pierres, de métaux, de plantes : sur cette structure admirable des corps animés : sur leur production, leur naissance, leur accroissement, leur mort. Il est impossible qu’en contemplant toutes ces merveilles l’esprit n’entende cette voix secrète, que tout cela n’est pas l’effet du hasard, mais de quelque cause qui possède en soi toutes les perfections que nous remarquons dans ce grand ouvrage.
  En vain s’efforcerait-on d’expliquer les ressorts de cette étonnante machine, en disant qu’il n’y a en tout cela qu’une matière vaste dans son étendue, et un grand mouvement qui la dispose et qui l’arrange, puisqu’il faut toujours qu’on nous dise quelle est la cause de cette matière et de ce grand mouvement : et c’est ce qu’on ne saurait faire raisonnablement sans remonter à un principe immatériel et intelligent, qui ait produit, et qui conserve l’un et l’autre."

 

Pierre Nicole, De l'éducation d'un prince, 1670, 3e partie, Veuve Charles Savreux, p. 121-123.



  "Mais si l'on examine les raisons et la fin de toutes ces choses, on y trouvera tant d'ordre et de sagesse, qu'une attention un peu sérieuse sera capable de convaincre les personnes les plus attachées à Épicure et à Lucrèce qu'il y à une providence qui régit le monde. Quand je vois une montre, j'ai raison de conclure qu'il y à une intelligence, puisqu'il est impossible que le hasard ait pu produire et arranger toutes ses roues. Comment donc serait-il possible que le hasard et la rencontre des atomes fut capable d'arranger dans tous les hommes et dans tous les animaux tant de ressorts divers, avec la justesse et la proportion que je viens d'expliquer, et que les hommes et les animaux en engendrassent d'autres qui leur fussent tout à fait semblables ? Ainsi il est ridicule de penser ou de dire comme Lucrèce, que le hasard a formé toutes les parties qui composent l'homme ; que les yeux n'ont point été faits pour voir, mais qu'on s'est avisé de voir parce qu'on avait des yeux ; et ainsi des autres parties du corps. […] Ne faut-il pas avoir une étrange aversion d'une providence pour s'aveugler ainsi volontairement de peur de la reconnaître, et pour tâcher de se rendre insensible à des preuves aussi fortes et aussi convaincantes que celles que la nature nous en fournit ?"

 

Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, 1674, Livre second, 1ère partie, chapitre IV, p. 106.



  "Pour voir qu'il y a une sagesse souveraine, il ne faut qu'ouvrir les yeux, et les porter sur les merveilles de la nature. Quand la considération des cieux et des astres, de leur beauté, de leur lumière, de leur grandeur, de leurs proportions, de leur perpétuel mouvement, et de ces révolutions admirables qui les rendent si justes et si constants dans leurs changements divers, ne nous convaincraient point de cette vérité, nous la trouverions marquée dans les vagues et sur le rivage de la mer, dans les plantes, dans la production des herbes et des fruits, dans la diversité et dans l'instinct des animaux, dans la structure de notre corps et dans les traits de notre visage.
  En effet, comme tous les hommes qui m'ont appris qu'il y a une ville de Rome, ne peuvent s'accorder à se jouer de ma crédulité ; il est impossible aussi que toutes les parties de la nature conspirent à me tromper, en me montrant les caractères d'une sagesse qui n'existe point réellement.

  Il est certain même, que cette dernière preuve à quelque égard, a l'avantage sur la première, en ce que tous les hommes ont en eux des principes d'erreur et d'imposture : au lieu que les parties de la nature n'en ont point ; et qu'ainsi le témoignage général des hommes est moins infaillible, que le témoignage général des parties de l'univers, s'il est permis de nommer ainsi l'accord de tous les ouvrages de la nature, à nous mettre devant les yeux la sagesse de leur auteur.
  Il ne faut donc que considérer, si nous pouvons nous défendre de reconnaître dans la nature ces caractères de sagesse que nous croyons y avoir remarqués. La sagesse emporte deux choses, comme chacun sait, un dessein, et le choix de certains moyens qui se rapportent à ce dessein. On n'est donc en peine que de savoir, si vous pouvez remarquer quelque dessein dans les ouvrages de l'univers, ou s' il y a quelque cause qui agisse pour une fin ; en quoi certainement il y a peu de difficultés. Il faut sans doute avoir perdu la raison, pour douter que nous n'ayons des yeux pour voir, des oreilles pour ouïr, un odorat pour flairer, une voix pour nous faire entendre, des pieds pour marcher, les plantes des pieds plates pour pouvoir nous tenir debout, un coeur pour faire ou pour recevoir le sang, des veines pour le contenir, des esprits pour le faire mouvoir, des artères pour faire battre les veines, des nerfs pour recevoir les esprits : et quand nous voyons que nos yeux ne sont point dans nos pieds, d'où ils ne pourraient pas voir les objets ; que notre bouche a une communication avec notre estomac, sans laquelle nous demeurerions privés de nourriture, nous ne croyons pas sans doute, que tout cela se trouve ainsi fait sans dessein. On s'aperçoit de cette sagesse répandue dans l'univers, soit qu'on examine un seul corps, soit qu'on jette les yeux sur l'assemblage de toutes les choses corporelles."

 

Jacques Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, 1684, 1ère partie, Section I, Chapitre IV, Reinier Leers, p. 22-24.



  "La croyance en une divinité étant le fondement de toute religion […], puisque celui qui vient à Dieu doit croire qu'il existe, il est absolument nécessaire de bien établir ce premier principe. On ne saurait en donner des preuves plus démonstratives que par des arguments tirés des lumières de la Nature, et des œuvres de la Création. Car la Théologie, comme toutes les autres sciences, ne prouve point mais suppose son objet, ne doutant point que les hommes ne soient pleinement persuadés de l'existence de Dieu par les lumières naturelles. Il y a en effet des démonstrations surnaturelles de cette importante vérité, mais elles ne sont pas communiquées à toutes les personnes ni à tous les temps, et dont les Athées ne conviennent pas par conséquent. Telles sont les illuminations intérieures de l'esprit, le don de prophétie et de prédiction des choses à venir, les miracles et autres choses semblables. Mais les preuves les plus propres à convaincre les incrédules sont celles qu'on tire des effets et des opérations exposées aux yeux de tout le monde, qu'on ne saurait désavouer, et dont on ne peut pas douter. Ces preuves là ont un autre avantage, qui est, qu'outre quelles sont convaincantes à l'égard des plus grands et des plus habiles adversaires de l'Existence de Dieu, elles sont aussi intelligibles à ceux, dont les lumières sont les plus bornées."

 

John Ray, La Sagesse de Dieu, 1691, Préface.

 

  "Il n'y a assurément pas d'argument plus palpable et plus convaincant de l'existence d'un Dieu, que l'art et la sagesse admirables qui se manifestent dans la composition, la constitution, l'ordre et la disposition, les fins et les usages de toutes les parties et de tous les membres de la fabrique merveilleuse du ciel et de la terre. Et si, lorsqu'on voit apparaître dans un ouvrage construit par l'art, par exemple dans un édifice exquis, ou dans quelque autre machine, un dessein bien entendu, bien ordonné et bien suivi en général et en toutes ses parties, on a lieu de conclure qu'il faut qu'un habile architecte ou un bon ingénieur y ait travaillé, pourquoi ne devrions-nous pas aussi, en contemplant les ouvrages de la nature, cette grandeur, cette magnificence, ce concert admirable de beauté, d'ordre, d'utilité etc. qui y brillent de tous côtés, et qui surpassent autant les productions humaines que la puissance et la sagesse infinie sont au-dessus de celles qui sont bornées, conclure de là à l'existence et à l'efficacité d'un Créateur parfaitement sage et tout puissant ?"

 

John Ray, La Sagesse de Dieu, 1691, Part I, p. 10.


 

  "Je prouve en troisième lieu, que l'Être existant par lui-même, et à qui toutes choses doivent leur origine, est un Être intelligent : par la beauté, la variété, l'ordre et la symétrie qui éclatent dans l'univers, et surtout par la justesse merveilleuse avec laquelle chaque chose se rapporte à sa fin. Cet argument a été si souvent rebattu, et manié si savamment par une infinité d'auteurs tant anciens que modernes, que je ne ferai que l'indiquer. Je remarquerai seulement, que si Descartes et ses sectateurs ont entrepris d'expliquer, comment par les lois seules du mouvement, le monde a pu être formé ; entreprise non seulement vaine, mais ridicule ; ils n'ont pourtant jamais porté leurs prétentions plus loin qu'à imaginer un système de la formation possible de cette partie du monde, qui est inanimée, et qui par conséquent est la moins considérable. Pour ce qui est des plantes et des animaux, qui manifestent la sagesse du Créateur d'une manière plus sensible, ils n'ont point songé à expliquer la manière de leur formation par les lois du mouvement, ou s'ils l'ont fait, ils y ont si mal réussi, qu'il vaudrait mieux ne l'avoir pas entrepris. Les lois du mouvement ne servent en effet de rien, lorsqu'il s'agit des plantes et des animaux. Pour ce qui regarde l'hypothèse d'Épicure, qui porte qu'ils ont été formés de la terre par un pur hasard (outre que je la crois maintenant abandonnée par tous les athées), les découvertes qu'on a faites depuis quelque temps dans la philosophie, montrent évidemment qu'il n'est rien au monde de si ridicule. Car on a trouvé que les moindres plantes et les plus vils de tous les animaux sont produits par leurs semblables, qu'il n'y a point en eux de génération équivoque, et que ni le soleil, ni la terre, ni l'eau, ni toutes les puissances de la nature unies ensemble, ne sont pas capable de produire un seul être vivant, non pas même de la vie végétable. Et à propos de cette excellence découverte, je remarquerai ici en passant qu'en matière même de religion, la philosophie naturelle et expérimentale est quelquefois d'un très grand usage. Or les choses étant telles que je viens de le dire, il faut que l'athée le plus opiniâtre demeure d'accord malgré qu'il en ait : ou que les plantes et les animaux sont dans leur origine l'ouvrage d'un Être intelligent, qui les a créés dans le temps ; ou qu'ayant été de toute éternité construits et arrangés comme nous les voyons aujourd'hui, ils sont une production éternelle d'une cause éternelle et intelligente, qui déploie sans relâche sa puissance et sa sagesse infinie ; ou enfin qu'ils dérivent de toute éternité les uns des autres, dans un progrès à l'infini de causes dépendantes, sans cause originale existante par elle-même. La première de ces assertions, est précisément ce que nous cherchons. La seconde revient au fond à la même chose et n'est d'aucun usage à l'athée. Et la troisième est absurde, impossible et contradictoire […].
  Mais quand tout ce que je viens de dire ne serait pas, et quand on passerait à l'athée cette supposition, si absurde et si déraisonnable, que la forme de l'univers et toutes les choses visibles qui y sont, que l'ordre qui y règne, que la beauté et la proportion admirable de toutes ses parties qui se répondent les unes aux autres, que tout cela, dis-je, n'est pas l'ouvrage d'une intelligence souveraine ; quand on lui accorderait même qu'il n'est pas impossible que la connaissance, la réflexion et la pensée sortent du sein d'une matière sans intelligence, il n'en serait pas pour cela plus avancé ; car, malgré toutes ces concessions, il nous resterait toujours une démonstration incontestable de l'intelligence de l'Être existant par lui-même. En effet, comment veut-on que les principes mêmes, desquels on prétend que la pensée est sortie, je veux dire la figure et le mouvement, comment veut-on, dis-je, que ces principes aient pu exister à moins qu'il n'y ait eu une cause intelligente et préexistante ?"

 

Samuel Clarke, Traité de l'existence et des attributs de Dieu, 1704-1706, Chapitre IX, tr. fr. M. Ricotier, Jean-Frédéric Bernard, Amsterdam, 1717, p. 89-92.



  "D'où vient-il que la nature ne fait rien en vain, et d'où proviennent tout cet ordre et toute cette beauté que nous voyons dans le monde ? A quelle fin sont [créées] les comètes ? Et d'où vient-il que les planètes se meuvent toutes dans le même sens sur des orbes concentriques tandis que les comètes se meuvent de toutes sortes de manières sur des orbes très excentriques ? Et qu'est-ce qui empêche les étoiles fixes de tomber les unes sur les autres ? Comment les corps des animaux sont-ils arrivés à être construits avec tant d'art, et à quelle fin servent leurs parties différentes ? Est-ce que l'œil a été formé sans connaissance de l'optique – et l'oreille sans connaissance des sons ? Comment les mouvements des animaux suivent-ils de leur volonté et d'où vient l'instinct dans les animaux ? Est-ce que le sensorium des animaux n'est pas le lieu auquel est présente la substance sensitive, et dans lequel les espèces sensibles des choses sont portées par les nerfs et le cerveau afin qu'ils puissent y être perçues par leur présence immédiate à cette substance ? Et ces choses étant dûment considérées, n'apparaît-il pas des phénomènes qu'il y a un Être Incorporel, Vivant, Intelligent, Omniprésent qui dans l'espace infini, comme si c'était dans son sensorium, voit intimement les choses elles-mêmes et les perçoit parfaitement et les comprend entièrement par leur présence immédiate à lui-même. Desquelles choses les images seulement, portées par les organes de sens dans nos petits sensoria y sont vues et aperçues par ce qui en nous perçoit et pense. Et si chaque pas en avant fait dans cette philosophie ne nous conduit pas immédiatement à la connaissance de cette Première Cause, cependant il nous en rapproche, et de ce fait doit être hautement estimé."

 

Isaac Newton, Optice, 1706, livre III, question 20, p. 312, tr. fr. Alexandre Koyré.



  "Première partie : Démonstration de l'existence de Dieu, tirée du spectacle de la nature et de la connaissance de l'homme
  Chapitre premier : Preuves de l'existence de Dieu, tirées de l'aspect général de l'univers.

  Je ne puis ouvrir les yeux sans admirer l'art qui éclate dans toute la nature : le moindre coup d'oeil suffit pour apercevoir la main qui fait tout. Que les hommes accoutumés à méditer les vérités abstraites, et à remonter aux premiers principes, connaissent la divinité par son idée ; c'est un chemin sûr pour arriver à la source de toute vérité. Mais plus ce chemin est droit et court, plus il est rude, et inaccessible au commun des hommes qui dépendent de leur imagination. C'est une démonstration si simple, qu'elle échappe par sa simplicité aux esprits incapables des opérations purement intellectuelles. Plus cette voie de trouver le premier être est parfaite, moins il y a d'esprits capables de la suivre.
  Mais il y a une autre voie moins parfaite, et qui est proportionnée aux hommes les plus médiocres. Les hommes les moins exercés au raisonnement, et les plus attachés aux préjugés sensibles, peuvent d'un seul regard découvrir celui qui se peint dans tous ses ouvrages. La sagesse et la puissance qu'il a marquées dans tout ce qu'il a fait, le font voir comme dans un miroir à ceux qui ne peuvent le contempler dans sa propre idée. C'est une philosophie sensible et populaire, dont tout homme sans passions et sans préjugés est capable.
  Si un grand nombre d'hommes d'un esprit subtil et pénétrant n'ont pas trouvé Dieu par ce coup d'oeil jeté sur toute la nature, il ne faut pas s'en étonner : les passions qui les ont agités leur ont donné des distractions continuelles, ou bien les faux préjugés qui naissent des passions ont fermé leurs yeux à ce grand spectacle. […]
  Mais enfin toute la nature montre l'art infini de son auteur. Quand je parle d'un art, je veux dire un assemblage de moyens choisis tout exprès pour parvenir à une fin précise : c'est un ordre, un arrangement, une industrie, un dessein suivi. Le hasard est tout au contraire une cause aveugle et nécessaire, qui ne prépare, qui n'arrange, qui ne choisit rien, et qui n'a ni volonté ni intelligence. Or je soutiens que l'univers porte le caractère d'une cause infiniment puissante et industrieuse. Je soutiens que le hasard, c'est-à-dire le concours aveugle et fortuit des causes nécessaires et privées de raison, ne peut avoir formé ce tout. […]
  Qui trouverait dans une île déserte et inconnue à tous les hommes une belle statue de marbre, dirait aussitôt : sans doute il y a eu ici autrefois des hommes : je reconnais la main d'un habile sculpteur : j'admire avec quelle délicatesse il a su proportionner tous les membres de ce corps, pour leur donner tant de beauté, de grâce, de majesté, de vie, de tendresse, de mouvement et d'action. Que répondrait cet homme si quelqu'un s'avisait de lui dire : non, un sculpteur ne fit jamais cette statue. Elle est faite, il est vrai, selon le goût le plus exquis, et dans les règles de la perfection ; mais c'est le hasard tout seul qui l'a faite. Parmi tant de morceaux de marbre, il y en a eu un qui s'est formé ainsi de lui-même ; les pluies et les vents l'ont détaché de la montagne ; un orage très-violent l'a jeté tout droit sur ce piédestal, qui s'était préparé de lui-même dans cette place. C'est un Apollon parfait comme celui du Belvédère : c'est une Vénus qui égale celle de Médicis : c'est un Hercule qui ressemble à celui de Farnèse. Vous croiriez, il est vrai, que cette figure marche, qu'elle vit, qu'elle pense, et qu'elle va parler : mais elle ne doit rien à l'art ; et c'est un coup aveugle du hasard, qui l'a si bien finie et placée. […]
  Je ne puis me résoudre à quitter ces exemples sans prier le lecteur de remarquer que les hommes les plus sensés ont naturellement une peine extrême à croire que les bêtes n'aient aucune connaissance, et qu'elles soient de pures machines. D'où vient cette répugnance invincible en tant de bons esprits ? C'est qu'ils supposent avec raison que des mouvements si justes, et d'une si parfaite mécanique, ne peuvent se faire sans quelque industrie, et que la matière seule, sans art, ne peut faire ce qui marque tant de connaissance. On voit par là que la raison la plus droite conclut naturellement que la matière seule ne peut, ni par les lois simples du mouvement, ni par les coups capricieux du hasard, faire des animaux qui ne soient que de pures machines. Les philosophes mêmes qui n'attribuent aucune connaissance aux animaux, ne peuvent éviter de reconnaître que ce qu'ils supposent aveugle et sans art dans ces machines, est plein de sagesse et d'art dans le premier moteur qui en a fait les ressorts et qui en a réglé les mouvements. Ainsi les philosophes les plus opposés reconnaissent également que la matière et le hasard ne peuvent produire sans art tout ce qu'on voit dans les animaux."

 

Fénelon, Démonstration de l'existence de Dieu, tirée de la connaissance de la Nature et proportionnée à la faible intelligence des plus simples, 1713, 1ère partie, Chapitre IV.



  "Cet admirable arrangement du soleil, des planètes et des comètes, ne peut être que l'ouvrage d'un être tout-puissant et intelligent. Et si chaque étoile fixe est le centre d'un système semblable au nôtre, il est certain que, tout portant l'empreinte d'un même dessein, tout doit être soumis à un seul et même Être : car la lumière que le soleil et les étoiles fixes se renvoient mutuellement est de même nature. De plus, on voit que Celui qui a arrangé cet Univers, a mis les étoiles fixes à une distance immense les unes des autres, de peur que ces globes ne tombassent les uns sur les autres par la force de leur gravité.
  Cet Être infini gouverne tout, non comme l'âme du monde, mais comme le Seigneur de toutes choses. Et à cause de cet empire, le Seigneur-Dieu s'appelle Panokratos, c'est-à-dire le Seigneur universel... Le vrai Dieu est un Dieu vivant, intelligent, et puissant ; il est au-dessus de tout et entièrement parfait. Il est éternel et infini, tout-puissant et omniscient, c'est-à-dire qu'il dure depuis l'éternité passée et dans l'éternité à venir, et qu'il est présent partout dans l'espace infini : il régit tout ; et il connaît tout ce qui est et tout ce qui peut être."

 

Newton, Principia mathematica philosophia naturalis, 2e édition, 1713, Livre III, scholie général.



  "Ce que le Psalmiste dit au Psaume III, V, 2 « Que les Œuvres de l'Éternel sont grandes, recherchées de tous  ceux  qui  y  prennent  plaisir », est véritable à l'égard de toutes les  Œuvres  de  Dieu en général, mais particulièrement de la Génération ; ces  Œuvres  étant  bien  recherchées ou, selon la  force  de  l'Original, « approfondies, étudiées  avec  soin  et avec  application », nous  trouverons, qu'elles  méritent  à  juste  titre  le  nom  de  grandes et  de magnifiques, dont le Psalmiste les qualifie ; et nous le trouverons d'autant plus, qu'elles nous deviendront clairement connues. Car elles sont construites avec tout l'Art et toute la Sagesse  imaginables, ordonnées avec un Dessein et dans des Vues, qui  répondent  à  des  fins très admirables.
  C'est pourquoi Saint Paul affirme avec raison, que par ces Ouvrages « les choses invisibles de Dieu, tant sa Puissance éternelle que sa Divinité, se voient comme à l'œil. » Ils fournissent en effet la démonstration la plus claire et la plus intelligible de l'Existence et des attributs de Dieu surtout à ceux qui ne sont pas versés dans les subtilités du Raisonnement, c'est-à-dire à la plus grande partie du Genre humain.
  Pour répondre donc à l'Institution  et  au  but ces  Lectures,  fondées par un des plus grands Philosophes du dernier Siècle[1], et instituées pour défendre la Religion Chrétienne contre les Athées et les Infidèles, je ne puis mieux employer ce temps-ci, qu'à une Démonstration de l'Existence, et des Attributs d'un Créateur infiniment puissant et sage ; tirée de la Contemplation et de l'Examen des Œuvres de la Création ou de la Nature, comme on les appelle souvent."

 

William Derham, Théologie physique, ou, Démonstration de l'existence et des attributs de Dieu : tirée des œuvres de la Création, 1713, Introduction, S. et J. Luchtmans, 1759, p. 1-4.


[1] Il s'agit de Robert Boyle, instituteur des Boyle's lectures.



  "Quoique nous resserrions beaucoup les bornes de l'étude de l'histoire des insectes, il est des gens qui trouveront que nous lui en laissons encore de trop étendues : il en est même qui regardent toutes les connaissances de cette partie de l'histoire naturelle comme inutiles, qui les traitent, sans hésiter, d'amusements frivoles. Nous voulons bien aussi qu'on les regarde comme des amusements, c'est-à-dire, comme des connaissances qui, loin de peiner, occupent agréablement l'esprit qui les acquiert ; elles font plus, elles l'élèvent nécessairement à admirer l'auteur de tant de prodiges. Devons-nous rougir de mettre même au nombre de nos occupations, les observations et les recherches qui ont pour objet des ouvrages où l'Être suprême semble s'être plu à renfermer tant de merveilles, et à les varier si fort ! L'histoire naturelle est l'histoire de ses ouvrages, il n'est point de démonstrations de son existence, plus à la portée de tout le monde que celles qu'elle nous fournit. Plusieurs auteurs qui nous ont fait considérer les différents êtres de l'univers, par des endroits par où on ne peut s'empêcher de les reconnaître pour des productions de la puissance et de la sagesse infinie, paraissent souhaiter que les observations sur les insectes se multiplient, parce que les démonstrations de l'existence de Dieu se multiplient en même temps."


René-Antoine Ferchault de Réaumur, Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, Tome premier, 1734, p. 3-4.



  "[La manière de parvenir à la notion d'un être qui préside à l'univers] la plus naturelle et la plus parfaite pour les capacités communes est de considérer non seulement l'ordre qui est dans l'univers, mais la fin à laquelle chaque chose paraît se rapporter. On a composé sur cette seule idée beaucoup de gros livres, et tous ces gros livres ensemble ne contiennent rien de plus que cet argument-ci : Quand je vois une montre dont l'aiguille marque les heures, je conclus qu'un être intelligent a arrangé les ressorts de cette machine, afin que l'aiguille marquât les heures. Ainsi, quand je vois les ressorts du corps humain, je conclus qu'un être intelligent a arrangé ces organes pour être reçus et nourris neuf mois dans la matrice ; que les yeux sont donnés pour voir, les mains pour prendre, etc. Mais de ce seul argument je ne peux conclure autre chose, sinon qu'il est probable qu'un être intelligent et supérieur a préparé et façonné la matière avec habileté ; mais je ne peux conclure de cela seul que cet être ait fait la matière avec rien, et qu'il soit infini en tout sens. J'ai beau chercher dans mon esprit la connexion de ces idées : « Il est probable que je suis l'ouvrage d'un être plus puissant que moi, donc cet être existe de toute éternité, donc il a créé tout, donc il est infini, etc. » Je ne vois pas la chaîne qui mène droit à cette conclusion ; je vois seulement qu'il y a quelque chose de plus puissant que moi, et rien de plus."

 

Voltaire, Traité de métaphysique, 1734, chapitre II.



  "En effet, que l'on jette les yeux sur cet Univers : on remarquera partout, du premier coup d'œil, une beauté, un ordre, une régularité admirable, et cette admiration ne fera que croître à mesure qu'étudiant la Nature de plus près, on entrera dans le détail de la structure, des proportions et des usages de chaque partie. Car alors on verra clairement, que chaque chose se rapporte à un certain but, et que ces fins particulières, quoi qu'infiniment variées entre elles, sont si habilement ménagées et tellement combinées ensemble, qu'elles concourent toutes à un Dessein général. Malgré cette prodigieuse diversité de Créatures, il n'y a point de confusion, l'on en voit mille et mille espèces, qui gardent toutes leur forme et leurs qualités distinctives. Les parties de l'Univers s'assortissent et sont balancées l'une par l'autre, pour entretenir une harmonie générale, et chacune de ces parties a précisément la figure, les  proportions, la situation ou le mouvement qui lui convient, soit pour produire son effet particulier, soit  pour former un beau Tout.
  Voilà donc un dessein, un choix, une Raison bien marquée dans tous les Ouvrages de la Nature, et par conséquent voilà une Sagesse et une Intelligence qu'on ne saurait méconnaître, et qui se fait, pour ainsi dire, toucher au doigt et à l'œil.

  Quoiqu'il se soit trouvé des Philosophes qui ont attribué tout cela au Hasard, c'est une pensée si ridicule, que je ne sais s'il est jamais entré une plus  grande chimère dans l'esprit humain. Qui pourrait de bonne foi se persuader, que différentes parties de matière s'étant je ne sais comment mises en mouvement et accrochées ensemble, ayant d'elles-mêmes produit les Cieux et les Astres, la Terre et les Plantes, les Animaux même et les Hommes, avec tout ce qu'il y a de plus régulier dans leur organisation ? Celui qui porterait un pareil jugement sur le moindre édifice qui s'offre à nous, sur un livre ou sur un tableau, serait regardé comme un extravagant. Combien plus est-ce choquer le Sens-commun, que d'attribuer au hasard un ouvrage aussi vaste et d'une composition aussi merveilleuse que cet Univers ?
  L'on ne trouverait pas mieux son compte à nous alléguer l'éternité du Monde, pour exclure une première Cause intelligente. Car outre les marques de nouveauté, que l'on trouve dans l'Histoire du Genre humain, comme l'origine des Nations et des Empires et l'invention des Arts et des Sciences ; etc. outre que la tradition la plus générale et la plus ancienne nous assure que le Monde a eu un commencement (tradition qui est d'un grand poids sur un point de fait comme celui-ci) ; outre cela, dis-je la nature même de la chose ne permet non plus d'admettre cette hypothèse que celle du hasard. Car il s'agit toujours d'expliquer d'où vient ce bel ordre, cette structure si bien proportionnée, ce dessein ; en un mot, d'où viennent ces marques de Raison et de Sagesse qui éclatent de toutes parts dans le Monde. Dire que cela a été ainsi de tout temps,  sans l'intervention d'aucune Cause intelligente, ce n'est pas expliquer la chose ; c'est nous laisser dans le même embarras, et avancer la même absurdité, que ceux qui nous parlaient tout à l'heure du hasard. Car au fond c'est toujours dire que tout ce que nous voyons dans l'Univers se trouve ainsi arrangé aveuglément ou sans dessein, sans choix, sans cause, sans raison, sans intelligence. Ainsi, ce qui faisait la principale absurdité de l'hypothèse du hasard, se retrouve également ici ; avec cette différence seulement, qu'en posant l'éternité du Monde, l'on suppose un hasard qui est rencontré de tout temps avec l'ordre ; au lieu que ceux qui attribuent la formation du Monde à la jonction fortuite de ses parties, supposent que le hasard n'a réussi que dans un certain temps, et ne s'est enfin rencontré avec l'ordre qu'après une infinité d'essais et de combinaisons inutiles. Les uns et les autres ne reconnaissent donc d'autre principe que le hasard, ou plutôt ils n'en reconnaissent aucun : car le hasard n'est point une Cause réelle, c'est un mot, qui ne saurait rendre raison d'un effet réel comme l'arrangement de l'Univers.
  Il ne serait pas difficile de pousser plus loin ces preuves, et d'en ajouter même quelques autres. Mais c'en  est assez pour un Ouvrage tel que celui-ci ; et le peu que nous en avons dit, nous met bien en droit, ce me semble, de poser l'existence d'une Première Cause, ou d'un Dieu Créateur, comme une vérité incontestable, qui peut désormais servir de base à tous nos raisonnements."

 

Jean-Jacques Burlamaqui, Principes du droit naturel, 1747, Deuxième partie, chapitre 1er, § VIII-X, p. 115-118.



  "L'Argument tiré de la convenance des différentes parties des Animaux avec leurs besoins paraît plus solide. Leurs pieds ne sont-ils pas faits pour marcher, leurs ailes pour voler, leurs yeux pour voir, leur bouche pour manger, d'autres parties pour reproduire leurs semblables ? Tout cela ne marque-t- il pas une intelligence et un dessein qui ont précédé à leur construction ? Cet argument avait frappé les Anciens comme il a frappé Newton : et c'est en vain que le plus grand ennemi de la Providence y répond, que l'usage n'a point été le but, qu'il a été la suite de la construction des parties des Animaux : que le hasard ayant formé les yeux, les oreilles, la langue, on s'en est servi pour entendre, pour parler (Lucrèce, Lib. IV)."

 

Maupertuis, Essai de cosmologie, 1750, Avant-propos, p. 6.



  "[Le philosophe] cherchera l'existence de Dieu dans les phénomènes de l'univers, dans les lois admirables de la nature, non dans ces lois métaphysiques sujettes aux exceptions, et que chacun peut étendre, modifier et resserrer à son gré, mais dans les lois primitives fondées sur les propriétés invariables des corps. Ces lois si simples qu'elles paraissent dériver de l'existence même de la matière, n'en dévoilent que mieux l'intelligence suprême ; par la manière dont elle a construit les différentes parties de notre Univers, elle semble n'avoir eu besoin que de donner à cette grande machine la première impulsion, pour en régler à jamais les différents phénomènes, et pour produire, comme par un seul acte de volonté, l'ordre constant et inaltérable de la nature ; impulsion trop admirable et trop raisonnée pour être l'effet d'un hasard aveugle. C'est dans ces lois générales, plutôt que dans les phénomènes particuliers, que le Philosophe cherchera l'Être suprême. Ce n'est pas que les procédés d'un insecte qui occupe en apparence si peu de place dans l'univers, découvrent moins à un esprit attentif l'intelligence infinie que les phénomènes généraux : mais ce dernier spectacle est bien plus fait que le premier pour frapper tous les yeux : et les meilleurs arguments en ce genre sont ceux qui peuvent convaincre le plus grand nombre."

 

D'Alembert, Éléments de philosophie, 1759, Chapitre VI, Paris, Fayard, 1999, p. 53.



  "Si la matière mue me montre une volonté, la matière mue selon de certaines lois me montre une intelligence : c'est mon second article de foi. Agir, comparer, choisir, sont les opérations d'un être actif et pensant : donc cet être existe. Où le voyez-vous exister ? m'allez-vous dire. Non seulement dans les cieux qui roulent, dans l'astre qui nous éclaire ; non seulement dans moi-même, mais dans la brebis qui paît, dans l'oiseau qui vole, dans la pierre qui tombe, dans la feuille qu'emporte le vent.
  Je juge de l'ordre du monde quoique j'en ignore la fin, parce que pour juger de cet ordre il me suffit de comparer les parties entre elles, d'étudier leur concours, leurs rapports, d'en remarquer le concert. J'ignore pourquoi l'univers existe ; mais je ne laisse pas de voir comment il est modifié : je ne laisse pas d'apercevoir l'intime correspondance par laquelle les êtres qui le composent se prêtent un secours mutuel. Je suis comme un homme qui verrait pour la première fois une montre ouverte, et qui ne laisserait pas d'en admirer l'ouvrage, quoiqu'il ne connût pas l'usage de la machine et qu'il n'eût point vu le cadran. Je ne sais, dirait-il, à quoi le tout est bon ; mais je vois que chaque pièce est faite pour les autres ; j'admire l'ouvrier dans le détail de son ouvrage, et je suis bien sûr que tous ces rouages ne marchent ainsi de concert que pour une fin commune qu'il m'est impossible d'apercevoir.
  Comparons les fins particulières, les moyens, les rapports ordonnés de toute espèce, puis écoutons le sentiment intérieur ; quel esprit sain peut se refuser à son témoignage ? À quels yeux non prévenus l'ordre sensible de l'univers n'annonce-t-il pas une suprême intelligence ? Et que de sophismes ne faut-il point entasser pour méconnaître l'harmonie des êtres et l'admirable concours de chaque pièce pour la conservation des autres ? Qu'on me parle tant qu'on voudra de combinaisons et de chances ; que vous sert de me réduire au silence, si vous ne pouvez m'amener à la persuasion ? Et comment m'ôterez-vous le sentiment involontaire qui vous dément toujours malgré moi ? Si les corps organisés se sont combinés fortuitement de mille manières avant de prendre des formes constantes, s'il s'est formé d'abord des estomacs sans bouches, des pieds sans têtes, des mains sans bras, des organes imparfaits de toute espèce qui sont péris faute de pouvoir se conserver, pourquoi nul de ces informes essais ne frappe-t-il plus nos regards ? Pourquoi la nature s'est-elle enfin prescrit des lois auxquelles elle n'était pas d'abord assujettie ? Je ne dois point être surpris qu'une chose arrive lorsqu'elle est possible, et que la difficulté de l'événement est compensée par la quantité des jets ; j'en conviens. Cependant, si l'on venait me dire que des caractères d'imprimerie projetés au hasard ont donné l'Enéide tout arrangée, je ne daignerais pas faire un pas pour aller vérifier le mensonge. Vous oubliez, me dira-t-on, la quantité des jets. Mais de ces jets-là combien faut-il que j'en suppose pour rendre la combinaison vraisemblable ? Pour moi, qui n'en vois qu'un seul, j'ai l'infini à parier contre un que son produit n'est point l'effet du hasard. Ajoutez que des combinaisons et des chances ne donneront jamais que des produits de même nature que les éléments combinés, que l'organisation et la vie ne résulteront point d'un jet d'atomes, et qu'un chimiste combinant des mixtes ne les fera point sentir et penser dans son creuset.
  J'ai lu Nieuwentit[1] avec surprise, et presque avec scandale. Comment cet homme a-t-il pu vouloir faire un livre des merveilles de la nature, qui montrent la sagesse de son auteur ? Son livre serait aussi gros que le monde, qu'il n'aurait pas épuisé son sujet ; et sitôt qu'on veut entrer dans les détails, la plus grande merveille échappe, qui est l'harmonie et l'accord du tout. La seule génération des corps vivants et organisés est l'abîme de l'esprit humain ; la barrière insurmontable que la nature a mise entre les diverses espèces, afin qu'elles ne se confondissent pas, montre ses intentions avec la dernière évidence. Elle ne s'est pas contentée d'établir l'ordre, elle a pris des mesures certaines pour que rien ne pût le troubler.

  Il n'y a pas un être dans l'univers qu'on ne puisse, à quelque égard, regarder comme le centre commun de tous les autres, autour duquel ils sont tous ordonnés, en sorte qu'ils sont tous réciproquement fins et moyens les uns relativement aux autres. L'esprit se confond et se perd dans cette infinité de rapports, dont pas un n'est confondu ni perdu dans la foule. Que d'absurdes suppositions pour déduire toute cette harmonie de l'aveugle mécanisme de la matière mue fortuitement! Ceux qui nient l'unité d'intention qui se manifeste dans les rapports de toutes les parties de ce grand tout, ont beau couvrir leur galimatias d'abstractions, de coordinations, de principes généraux, de termes emblématiques ; quoi qu'ils fassent, il m'est impossible de concevoir un système d'êtres si constamment ordonnés, que je ne conçoive une intelligence qui l'ordonne. Il ne dépend pas de moi de croire que la matière passive et morte a pu produire des êtres vivants et sentants, qu'une fatalité aveugle a pu produire des êtres intelligents, que ce qui ne pense point a pu produire des êtres qui pensent.
  Je crois donc que le monde est gouverné par une volonté puissante et sage ; je le vois, ou plutôt je le sens, et cela m'importe à savoir."

 

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762, Livre IV, GF, 1960, p. 357-359.


[1] Bernard Nieuwentyt (1654-1718), médecin et mathématicien néerlandais, et est l'auteur d'un ouvrage intitulé Véritable usage de la contemplation de l'univers pour la conviction des athées et des incrédules (1715), traduit en français sous le titre L'Existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature (1740).

 

  "Regardez le monde autour de vous, contemplez le tout et toutes ses parties. Vous trouverez qu'il n'est rien qu’une grande machine subdivisée en un nombre infini de plus petites machines qui, de nouveau, admettent des subdivisions jusqu'à un degré tel que les sens et les facultés de l'homme ne peuvent les découvrir et les expliquer. Toutes ces diverses machines, et même leurs parties les plus minuscules, sont ajustées les unes aux autres avec une précision qui ravit d'admiration tous les hommes qui les ont contemplées. La curieuse adaptation des moyens aux fins dans toute la nature ressemble exactement, mais en beaucoup plus grand, aux productions des artifices humains, aux produits du dessein humain, de la sagesse et de l'intelligence humaines. Puisque donc les effets se ressemblent, nous sommes conduits à inférer, par toutes les règles de l'analogie, que les causes se ressemblent aussi et que l'Auteur de la Nature est en quelque façon semblable à l'esprit de l'homme, même s'il possède des facultés beaucoup plus grandes et proportionnées à la grandeur de l'ouvrage qu'il a exécuté. Par cet argument a posteriori et par cet argument seul, n'avons-nous pas prouvé en même temps l'existence de Dieu et sa similitude avec l'esprit et l'intelligence de l'homme ?"

 

David Hume, Dialogues sur la religion naturelle, 1779, Partie II, tr. fr. M. Philippe Folliot.


 "Jetez les yeux autour de vous sur le monde ; contemplez-en l'ensemble et chaque partie : vous verrez qu'il n'est pas autre chose qu'une grande machine, subdivisée en un nombre infini de machines plus petites, qui, à leur tour, admettent des subdivisions, à un degré qui dépasse ce que les sens et les facultés de l'homme peuvent découvrir et expliquer. Toutes ces diverses machines, - et même leurs plus petites parties, sont ajustées les unes aux autres avec une exactitude qui ravit en admiration quiconque les a jamais contemplées. La soigneuse adaptation des moyens aux fins à travers toute la nature, ressemble exactement, tout en les surpassant de beaucoup, aux productions de l'artifice humain, des desseins, de la pensée, de la sagesse et de l'intelligence humaines. Puis donc que les effets se ressemblent entre eux, nous sommes conduits à inférer, d'après toutes les règles de l'analogie, que les causes se ressemblent également, et que l'Auteur de la nature est quelque peu semblable à l'esprit de l'homme, quoique doué de facultés bien plus vastes, proportionnées à la grandeur de l'oeuvre qu'il a exécutée. Par cet argument a posteriori, et par cet argument seul, nous prouvons à la fois l'existence d'une Divinité et sa similitude avec l'esprit et l'intelligence de l'homme."
 
David Hume, Dialogues sur la religion naturelle, 1779, Partie II, tr. fr. Maxime David, Vrin, 1973, p. 25-26.

 

  "Le monde actuel nous offre un si vaste théâtre de variété, d'ordre, de finalité et de beauté, qu'on le considère soit dans l'immensité de l'espace, soit dans son infinie division, que même avec les connaissances que notre faible entendement a pu acquérir, toute langue est impuissante à traduire son impression devant tant et tant de si grandes merveilles, tout nombre perd sa force de mesure et nos pensées mêmes regrettent de ne plus avoir de limite, de telle sorte que notre jugement sur le tout finit par se résoudre en un étonnement muet, mais d'autant plus éloquent.
 Nous voyons partout une chaîne d'effets et de causes, de fins et de moyens, une régularité dans l'apparition et la disparition des choses et comme rien, de soi-même, n'est arrivé à l'état où il se trouve, cet état indique toujours plus loin une autre chose, comme sa cause, laquelle, à son tour, rend la même question nécessaire, de telle sorte que le tout finirait par tomber dans l'abîme du néant, si l'on admettait quelque chose qui, existant par soi originairement et d'une manière indépendante, en dehors de cet infini contingent, servît de soutien à ce tout et qui, en étant l'origine, en garantît à la fois la durée."
 
Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, 1781, Dialectique transcendantale, Livre II, Ch. 3, Sec 6, tr. fr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, PUF, p. 441-442.

 

 "Les principaux moments de cette preuve physico-théologique sont les suivants : 1) Il y a partout dans le monde des signes évidents d'un ordre exécuté sur un dessein déterminé, avec une grande sagesse, et dans tout d'une grande variété indescriptible tant par son contenu que par la grandeur illimité de son étendue. 2) Cet ordre conforme à des fins n'est pas inhérent aux choses du monde et ne leur appartient que d'une façon contingente, c'est-à-dire que la nature des choses diverses n'aurait pas pu, par tant de moyens concordants, s'adapter d'elle-même à des fins déterminées, si ces moyens n'avaient pas été proprement choisis et appropriés à ce but par un principe raisonnable qui ordonnât les choses en prenant certaines idées comme fondement. 3) Il existe donc une (ou plusieurs) cause sublime et sage qui doit être la cause du monde, non pas simplement comme une nature toute-puissante agissant aveuglément par sa fécondité, mais comme une intelligence agissant par sa liberté. 4) L'unité de cette cause se conclut de l'unité du rapport réciproque des parties du monde considérées comme les diverses pièces d'une oeuvre d'art, et on la conclut, avec certitude, dans les choses qu'atteint notre observation, et au-delà, avec vraisemblance, suivant tous les principes de l'analogie."
 
Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, 1781, Dialectique transcendantale, Livre II, Ch. 3, Sec 6, tr. fr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, PUF, p. 443.


  "Comment peut-on avoir une raison d'admettre qu'il n'y a rien de vain dans le monde, mais que dans la nature tout est bon à quelque chose […] voilà ce que la considération téléologique du monde traite fort bien et à notre plus grande admiration. Mais toutefois parce que […] les principes, pour déterminer ce concept, d'une cause du monde intelligente (en tant qu'artiste suprême), sont seulement empiriques, ils ne permettent pas de conclure d'autres attributs que ceux que l'expérience révèle dans les effets de cette cause, et comme l'expérience révèle dans les effets de cette cause, et comme l'expérience ne peut jamais saisir la nature en totalité en tant que système, elle doit se heurter souvent […] à des arguments contradictoires ; et même si nous étions capables d'embrasser empiriquement le système entier , pour autant qu'il concerne la simple nature , l'expérience ne pourrait jamais nous élever au-dessus de la nature jusqu'à la fin de son existence même et, ce faisant, au concept déterminé de cette intelligence suprême."

 

Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, § 85, tr. fr. Alexis Philonenko, Vrin, 1984, p. 246-247.



  "J'ai dit que le raisonnement de celui qui nie l'art et l'invention dans la montre était précisément le raisonnement des athées ; car l'évidence d'un dessein se retrouve dans tous les ouvrages de la nature, comme dans l'ouvrage d'une montre, avec cette différence que les oeuvres de la nature sont plus variées et plus admirables, dans une proportion qui excède tout calcul. Sans doute l'invention, et l'exécution dans les ouvrages de la nature, surpassent infiniment tous les produits de l'art ; mais dans un très grand nombre de cas, le dessein, et l'application des moyens au but n'y sont pas moins évidents que dans les machines qui sortent de la main des hommes.
[…]

  L'existence, la sagesse, et l'action de la Divinité ne pouvaient être démontrées à des créatures raisonnables, par aucun autre moyen que par l'évidence de l'invention. C'est en contemplant les ouvrages de la Nature, et en méditant les traits d'intelligence dont ils sont remplis, que nous arrivons peu à peu à la connaissance des attributs du Créateur. Nos facultés actuelles étant données, ce n'est que sur la partie de l'invention dans les ouvrages de la Nature que nous trouvons à observer et à raisonner : ôtez la partie de l'invention, et il n'y a plus lieu au raisonnement pour nous. C'est dans l'invention et la construction des instruments, c'est dans le choix et l'application des moyens, que l'intelligence créatrice se manifeste. C'est là ce qui constitue l'ordre et la beauté de l'Univers. Dieu a voulu circonscrire par certaines limites les bornes de son pouvoir ; ces limites sont marquées par les lois générales de la matière, telles que la gravité, et l'impénétrabilité, les lois du mouvement, la réflexion et la réfraction, la constitution des fluides élastiques ou non-élastiques, la transmission des sons, les lois du magnétisme, celles de l'électricité, et probablement d'autres encore que nous ignorons.
  La nature adhère à ces lois générales, avec une constance très remarquable. Le Créateur ayant un but à atteindre, n'a point eu recours à des lois nouvelles, il n'a point suspendu l'effet des lois établies, il ne les a point fait fléchir dans telle ou telle occasion donnée, il a fait ce que nous venons d'observer en parlant de l'œil : il a invente, exécuté, et placé un appareil correspondant aux lois établies et au but à atteindre. C'est précisément comme si le Créateur avait travaillé d'après des lois établies par un autre Être, et sur des matériaux qui lui eussent été assignés : il eut évidemment fallu une invention pour former un monde comme  celui qui existe. On peut imaginer plusieurs êtres subordonnes les uns aux autres. Ce n'est pas que je prétende avancer cette supposition comme un système de philosophie ou de religion, mais on peut sans aucun risque, considérer la création sous ce point de vue ; parce que si Dieu agit d'après des lois générales, c'est, quant aux conséquences de la supposition sur notre raisonnement, la même chose que s'il eût prescrit à un autre agent les lois générales de l'Univers. On dit que la matière et l'attraction étant données, en composer un monde était le problème de la création. Cette manière de considérer la chose n'en donne peut-être  pas une fausse idée."

 

William Paley, Théologie naturelle, 1802, Chapitre 2, tr. fr. Charles Pictet, 2e édition, J. J. Paschoud, 1818, p. 32-34.



  "Depuis toujours, on estime que l'existence de Dieu est prouvée par certains phénomènes naturels. De nombreuses choses semblent avoir été expressément créées en vue les unes des autres. Ainsi le bec du pic, sa langue, ses pattes, sa queue, etc., le rendent merveilleusement adapté à un univers fait d'arbres qui cachent sous leur écorce les larves dont il se nourrit. Notre œil est parfaitement adapté aux lois de la lumière dont il utilise les rayons pour projeter une image extrêmement nette sur la rétine. On pensait qu'une telle adaptation mutuelle de choses d'origines très diverses témoignait d'un dessein et son créateur était toujours considéré comme une divinité bienveillante à l'égard des hommes.
  La première étape de ce genre d'argumentation était de prouver l'existence du dessein. On fouillait la nature afin d'y trouver des résultats prouvant que des choses disparates étaient adaptées les unes aux autres. Nos yeux par exemple se forment dans l'obscurité de l'utérus tandis que la lumière vient du soleil, et voyez pourtant à quel point ils sont adaptés l'un à l'autre. Ils sont de toute évidence faits l'un pour l'autre. La vision est la fin, la lumière et les yeux sont les moyens distincts créés à dessein pour y parvenir.

  Au regard de l'approbation unanime que nos ancêtres donnaient à cet argument, il est étrange de voir à quel point il a perdu de sa force avec le triomphe de la théorie darwinienne. Darwin nous a fait découvrir la capacité des événements fortuits à produire des résultats « adaptés », pourvu qu'ils aient le temps de s'additionner les uns aux autres. Il a montré l'énorme gaspillage auquel se livre la nature en produisant des résultats voués à la destruction à cause de leur manque d'adaptation. Il a également mis en évidence le grand nombre d'adaptations qui, si elles résultaient d'un dessein, feraient supposer un créateur méchant et non bienveillant. Tout dépend du point de vue qu'on adopte. Pour la larve cachée sous l'écorce, la merveilleuse adaptation du pic pour la déloger suggérerait sans aucun doute un créateur diabolique.
  Les théologiens ont développé des trésors d'intelligence pour se saisir des faits du darwinisme et y voir encore le témoignage d'un dessein divin. Avant, il fallait choisir entre le finalisme et le mécanisme, l'un ou l'autre. C'était comme si l'on disait « mes chaussures ont évidemment été conçues pour s'adapter à mes pieds, il est donc impossible qu'elles soient le produit d'un mécanisme ». Or nous savons qu'elles sont les deux à la fois : elles sont fabriquées par un mécanisme lui-même conçu pour équiper nos pieds de chaussures. La théologie n'a qu'à envisager de la même manière les desseins de Dieu. L'objectif d'une équipe de football n'est pas seulement de mettre la balle dans les buts (sinon les joueurs n'auraient qu'à s'y rendre par une nuit obscure pour l'y déposer) mais de l'y envoyer selon un ensemble de conditions faisant partie d'un mécanisme déterminé : les règles du jeu et leurs adversaires. De même le dessein de Dieu n'est pas seulement, mettons, de créer les hommes et de les sauver mais plutôt de parvenir à cette fin par la seule action du vaste mécanisme de la nature. Sans les lois et les forces d'opposition prodigieuses de la nature, on peut supposer que la création de l'homme et son perfectionnement n'auraient pas eu assez d'intérêt pour figurer parmi les réalisations d'un dessein divin.
  Cela sauve l'argument du dessein dans sa forme mais en sacrifiant son traditionnel et facile contenu anthropomorphique. L'auteur du dessein n'est plus cette ancienne divinité faite à l'image de l'homme, ses desseins sont désormais si vastes qu'ils dépassent l'entendement humain. Comprendre ce qu'ils sont est en soi une tâche si vaste pour nous que pouvoir dire voilà leur créateur n'a guère d'importance en comparais-on. Il nous est en effet bien difficile de comprendre en quoi consiste un esprit cosmique dont les desseins se révèlent entièrement dans cet étrange mélange de bon et de mauvais que nous rencontrons dans chacun des faits particuliers de notre monde réel. Il nous est même totalement impossible de le saisir. Le mot « dessein » par lui-même n'a, on le voit, aucune conséquence et n'explique rien. C'est le plus stérile des principes. L'immémoriale question de savoir s'il y a bien un dessein est futile. La vraie question est de savoir ce qu'est le monde, qu'il ait ou non un créateur, et la seule façon d'y parvenir est d'étudier la nature dans tous ses faits particuliers."

 

William James, Le Pragmatisme, 1907, Leçon III, tr. fr. Nathalie Ferron,Champs classiques, 2011, p. 159-162.

 

  "God's existence has from time immemorial been held to be proved by certain natural facts. Many facts appear as if expressly designed in view of one another. Thus the woodpecker's bill, tongue, feet, tail, etc., fit him wondrously for a world of trees with grubs hid in their bark to feed upon. The parts of our eye fit the laws of light to perfection, leading its rays to a sharp picture on our retina. Such mutual fitting of things diverse in origin argued design, it was held; and the designer was always treated as a man-loving deity.
    The first step in these arguments was to prove that the design existed. Nature was ransacked for results obtained through separate things being co-adapted. Our eyes, for instance, originate in intra-uterine darkness, and the light originates in the sun, yet see how they fit each other. They are evidently made for each other. Vision is the end designed, light and eyes the separate means devised for its attainment.

    It is strange, considering how unanimously our ancestors felt the force of this argument, to see how little it counts for since the triumph of the darwinian theory. Darwin opened our minds to the power of chance-happenings to bring forth 'fit' results if only they have time to add themselves together. He showed the enormous waste of nature in producing results that get destroyed because of their unfitness. He also emphasized the number of adaptations which, if designed, would argue an evil rather than a good designer. Here all depends upon the point of view. To the grub under the bark the exquisite fitness of the woodpecker's organism to extract him would certainly argue a diabolical designer.
    Theologians have by this time stretched their minds so as to embrace the darwinian facts, and yet to interpret them as still showing divine purpose. It used to be a question of purpose against mechanism, of one OR the other. It was as if one should say "My shoes are evidently designed to fit my feet, hence it is impossible that they should have been produced by machinery." We know that they are both: they are made by a machinery itself designed to fit the feet with shoes. Theology need only stretch similarly the designs of God. As the aim of a football-team is not merely to get the ball to a certain goal (if that were so, they would simply get up on some dark night and place it there), but to get it there by a fixed machinery of conditions—the game's rules and the opposing players; so the aim of God is not merely, let us say, to make men and to save them, but rather to get this done through the sole agency of nature's vast machinery. Without nature's stupendous laws and counterforces, man's creation and perfection, we might suppose, would be too insipid achievements for God to have designed them.
    This saves the form of the design-argument at the expense of its old easy human content. The designer is no longer the old man-like deity. His designs have grown so vast as to be incomprehensible to us humans. The what of them so overwhelms us that to establish the mere that of a designer for them becomes of very little consequence in comparison. We can with difficulty comprehend the character of a cosmic mind whose purposes are fully revealed by the strange mixture of goods and evils that we find in this actual world's particulars. Or rather we cannot by any possibility comprehend it. The mere word 'design' by itself has, we see, no consequences and explains nothing. It is the barrenest of principles. The old question of whether there is design is idle. The real question is what is the world, whether or not it have a designer—and that can be revealed only by the study of all nature's particulars."

 

William James, Pragmatism, 1907, Lecture III, Harvard University Press, 2000, pp. 56-58.



  "Tout ce qu'il y a dans le monde de beauté, de finalité, d'ordre et de perfection relative à cet ordre, tout ce qui dans le spectacle de la nature saisit directement notre âme avec une plénitude inépuisable, tout cela ne peut pas s'expliquer par quelque réalité positive dont nous pourrions acquérir une connaissance complète, comme par exemple une matière. La finalité des êtres vivants, la beauté de la nature sous toutes ses formes, l'ordonnance du monde dans son ensemble, tout cela, au fur et à mesure que progressent nos connaissances positives, devient de plus en plus mystérieux.
  Mais lorsqu'on prétend tirer de là la conclusion que Dieu existe en tant que créateur plein de bonté, on se heurte aussitôt à tout ce qui est laid, tourmenté, chaotique dans le monde. Il y correspond en nous des états d'âme très profonds comme si le monde, cessant de nous être familier, devenait étranger, hostile, terrifiant. Il semble tout aussi plausible de conclure à l'existence du diable qu'à celle de Dieu. Le mystère de la transcendance ne se dissipe pas, il s'approfondit.
  Ce qui est décisif surtout, c'est ce que nous appelons l'inachèvement du monde. Le monde n'est pas fini, il continue sans cesse à se transformer, la connaissance que nous en avons ne trouve aucune conclusion, le monde ne s'explique pas par lui-même.
  Non seulement de telles « preuves » ne prouvent pas l'existence de Dieu, mais encore elles nous poussent à faire de lui une réalité du monde, qui serait pour ainsi dire fixée à des limites au delà desquelles commencerait un deuxième monde. Elles ne font alors qu'obscurcir l'idée de Dieu.
  Elles font cependant une impression d'autant plus forte qu'elles nous conduisent plus fermement, à travers les apparences concrètes, jusqu'au néant et à l'inachèvement. Alors, grâce à elles, nous prenons notre élan, et le monde ne nous suffit plus : il n'est pas le seul être.
  Elles font cependant une impression d'autant plus forte qu'elles nous conduisent plus fermement, à travers les apparences concrètes, jusqu'au néant et à l'inachèvement. Alors, grâce à elles, nous prenons notre élan, et le monde ne nous suffit plus : il n'est pas le seul être.
  On retrouve sans cesse cette vérité : Dieu n'est pas un objet de connaissance, il ne peut pas être dévoilé de façon apodictique. Dieu n'est pas non plus un objet de l'expérience sensible. Il est invisible. On ne peut pas le regarder, on ne peut que croire en lui."
 
Karl Jaspers, Introduction à la philosophie, 1950, tr. fr. Jeanne Hersch, 10/18, 1981, p. 44-45.

  "Oui, la beauté de l'Univers est remarquable ; et son gigantisme, surtout, est stupéfiant. Des centaines de milliards de galaxies, composées chacune de centaines de milliards d'étoiles, et dont certaines sont situées à des milliards d'années-lumière – des centaines de milliards de milliards de kilomètres. Et, à l'échelle du milliard d'années-lumière, il commence à se constituer un ordre : les amas galactiques se répartissent pour former un graphe labyrinthique. Exposez ces faits scientifiques à cent personnes prises au hasard dans la rue : combien auront le front de soutenir que tout cela a été créé par hasard ? D'autant que l'Univers est relativement jeune – quinze milliards d'années tout au plus. C'est le célèbre argument du singe dactylographe : combien de temps faudrait-il à un chimpanzé, tapant au hasard sur le clavier d'une machine, pour réécrire l'œuvre de Shakespeare ? Combien de temps faudrait-il à un hasard aveugle pour reconstruire l'Univers ? Certainement bien plus de quinze milliards d'années !... Et ce n'est pas seulement le point de vue de l'homme de la rue, c'est aussi celui des plus grands scientifiques […] L'argument du « Dieu horloger », que Voltaire jugeait irréfutable, est resté tout aussi fort qu'au XVIIIe  siècle, il a même gagné en pertinence à mesure que la science tissait des liens de plus en plus étroits entre l'astrophysique et la mécanique des particules. N'y a-t-il pas au fond quelque chose d'un peu ridicule à voir cette créature chétive, vivant sur une planète anonyme d'un bras écarté d'une galaxie ordinaire, se dresser sur ses petites pattes pour proclamer : « Dieu n'existe pas ? »"

 

Michel Houellebecq, Soumission, 2015, J'ai Lu, 2016, p. 265.

 


Date de création : 02/04/2011 @ 17:27
Dernière modification : 18/10/2023 @ 16:45
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